I love Huckabees (2004) de David O. Russell avec Dustin Hoffman, Isabelle Huppert, Jude Law, Jason Schwartzman, Naomi Watts, Mark Wahlberg

 

Je dois débuter cette note en présentant d’humbles excuses à ma petite sœur. Je suis sûr, en effet, que cette critique va la peiner puisque c’est elle qui a eu la gentillesse de m’offrir ce film, avec lequel je ne vais pas être tendre, en DVD. Ce n’était d’ailleurs pas une mauvaise idée puisque je voulais le voir après en avoir lu le plus grand bien sous la plume de mon ami le Dr Devo. Sincèrement, j’ai fait des efforts, me promettant dès le début d’être indulgent et de le regarder sans arrière-pensées mais ce fut plus fort que moi : I love Huckabees m’a exaspéré d’un bout à l’autre ! 

Le film se présente comme une petite fable sur l’époque. Albert (le très tendance Jason Schwartzman) fait appel, suite à de troublantes coïncidences, à deux « détectives existentiels », chargés d’analyser sa vie. Très vite, on devine que notre jeune homme est en conflit avec un jeune cadre dynamique de sa société, requin arrogant près à tout sacrifier pour faire du fric (Jude Law). Sur un mode sautillant (le film avance à petits coups de saynètes décalées), Russell entend tirer quelques portraits de nos contemporains sur un mode, encore une fois, décalé (avec personnages ad hoc : pompier écolo et « citoyen », psy française bien allumée, bimbo décérébrée qui veut porter la coiffe…).

Sur le papier, il y a quelques bonnes idées dans le film, comme celle de montrer une époque obsédée par la « transparence ». Les deux « détectives existentiels » incarnés par Hoffman et Lily Tomlin sont absolument effrayants dans la mesure où ils sont parfaitement symboliques d’un monde où tout individu doit s’épancher, se laisser observer 24 heures sur 24 et s’auto analyser en permanence (en gros, c’est l’institutionnalisation de ces affreuses « cellules d’aide psychologique » dont on nous rabat les oreilles à chaque catastrophe). On trouve aussi, ça et là, quelques notations assez justes sur le culte totalitaire de la beauté et sur la manière dont l’entreprise digère les « bonnes causes » pour imposer sa mainmise sur le monde (Huckabees est une société qui bétonne partout mais qui prend soin de préserver l’environnement).

Le problème, c’est que tout cela se résume à l’écran à une caricature grossière qui n’évite pas, à mon sens, un certain cynisme. Caricature puisque à l’odieux capitaliste s’oppose schématiquement le jeune homme romantique et idéaliste (il compose des poèmes pour défendre la nature !) et son ami qui triompheront, forcément, du méchant cadre. Mais là où Russell me paraît cynique, c’est que rien, finalement, n’est grave dans son film. Que ce soit Albert et ses poèmes indigents, son pote Mark Wahlberg et ses combats pour les « bonnes causes » (il est contre le pétrole) ou Jude Law et son arrogance de cadre ; tous participent au même combat pour l’empire du Bien. La « réconciliation » finale est emblématique : il n’y a plus de désaccord possible contre ce monde mais juste la mise en scène de petits conflits spectaculaires en faveur de la même chose (l’écologie par le biais de poèmes ou par le sponsoring de grosses marques de société).

Vous allez me dire que tout ça, c’est le propos du film. Or dans la forme, c’est exactement la même chose !

Autrefois, le cinéma « indépendant » pouvait apparaître comme le négatif d’Hollywood. Désormais, il est devenu identique. Car derrière le ton « décalé » de Russell (c’est si à la mode !) et ses petites afféteries stylistiques à la Michel Gondry ; I love Huckabees est un film totalement aseptisé et prophylactique. Rien de grave n’y advient : pas de sexe (la scène « d’amour » entre Huppert et Schwartzman est l’une des choses les plus atroces que j’aie vue depuis longtemps), pas de désir, pas d’affects, pas d’émotion. Victoire d’un monde Moderne (Ô Muray !) où le négatif a disparu et où les seuls conflits mis en scène participent au même mouvement de ce monde (Naomi Watts s’éprend de son pompier non par désir mais parce qu’il partage « les mêmes valeurs » et qu’elle peut enfin s’habiller comme un sac et porter une coiffe !)

On ne trouvera ici rien de la cruauté lucide d’un Todd Solondz ou encore de la « poésie » d’un Hal Hartley (avec ses personnages devenant plus légers que le monde) mais un fastidieux catalogues de tics contemporains.

J’avais déjà détesté, il y a fort longtemps, Flirter avec les embrouilles ; I love Huckabees le confirme : Russell est un cinéaste fort surestimé, qui ne m’intéresse absolument pas !

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