Capitulation et capitalisation
Alice au pays des merveilles (2010) de Tim Burton avec Mia Wasikowska, Johnny Depp, Helena Boham Carter, Anne Hathaway
Un week-end de Pâques prolongé et un flot de DVD à chroniquer m’ont tenu un peu éloigné de ce blog ces derniers temps mais je ne vous abandonne pas ! Pour mon retour aux affaires courantes, je suis allé voir le dernier film de Tim Burton. Ne supportant pas les versions françaises, j’ai opté pour une projection 2D mais en anglais : ce n’est pas encore cette fois que je vous donnerai mes impressions sur ce gadget que représente la 3D !
Alors Alice ? Pour ma part, j’ai trouvé le prologue extrêmement prometteur. Le temps d’un petit quart d’heure et l’on retrouve toutes les obsessions de Burton : une héroïne orpheline qui hérite de l’anticonformisme de son père (comme dans Big fish), une séquence de fiançailles très drôle où, comme dans Edward aux mains d’argent, l’héroïne se retrouve confrontée aux conventions et préjugés d’une société guindée. Lorsque arrive le lapin blanc et qu’Alice se lance à ses trousses (belle course-poursuite dans le jardin), on se dit que Tim Burton va parvenir à s’approprier l’univers de Lewis Carroll comme il était parvenu à s’emparer de celui de Roald Dahl lorsqu’il réalisait Charlie et la chocolaterie.
La suite nous prouvera d’ailleurs qu’il y avait dans l’univers d’Alice aux pays des merveilles d’autres éléments qui auraient permis d’en faire un grand film personnel : des décors familiers pour les « burtoniens » (ses fameux « arbres tordus » qu’il affectionne tant), des corps « hybrides » comme dans presque tous ses films…)
Malheureusement, le charme n’opère plus et se brise dès qu’Alice tombe dans son trou…
A partir de cet instant, le cinéaste oublie son personnage et se lance dans un récit banal (la lutte du Bien contre le Mal) qu’il met en scène (et c’est ce qu’il y a de plus grave !) comme une attraction foraine. La plupart du temps, nous sommes dans un « train fantôme » et la version plate met en relief (si j’ose dire !) la pauvreté des « trucs » imaginés pour faire sursauter le spectateur (objets lancés à la figure, course à travers les branchages, monstres belliqueux qui approchent leurs hures au plus près de la caméra…).
Au-delà de l’effet de sidération enfantin que procure sans doute une vision en 3D (mais qui personnellement me laisse de marbre : je me suis endormi au Futuroscope de Poitiers !), on voit ici les limites d’une « esthétique » (induite, pour l’instant, par la 3D) entièrement axée autour de l’effet de surprise et de vertige.
Rapidement, la quête d’Alice devient assez ennuyeuse et seuls quelques passages astucieux forcent notre attention : je pense notamment à ce jeu sur les différentes tailles d’Alice (et les problèmes vestimentaires que cela induit !) que Burton réussit plutôt bien. De la même manière, même si on est à cent lieues du nonsense de Lewis Carroll, certains traits d’humour font mouche.
Mais l’impression d’ensemble reste, malgré tout, que le cinéaste a capitulé devant la technique. C’est dommage car Tim Burton est l’un des cinéastes qui a su le mieux utiliser les effets spéciaux pour réinventer des corps et les incarner. Arrivé après la mort du cinéma de genre, il a tenté de greffer sur des récits classiques (notamment le mythe de Frankenstein) des corps nouveaux, hybrides (les morts de Beetlejuice, Edward et ses mains d’argent, le Pingouin dans le deuxième Batman, les créatures hybrides de Mars attacks !, etc.). Il s’agissait alors pour le cinéaste de rester fidèle à ses « pères » (Vincent Price, Christopher Lee, Bela Lugosi…) en redonnant naissance à des corps « imparfaits » mais à qui il donnait une incroyable profondeur (notamment dans cet immense chef-d’œuvre qu’est Edward aux mains d’argent).
Dans Alice aux pays des merveilles, ces « corps hybrides » sont là (la reine de cœur et sa grosse tête, les petits gros, la cour pleine de personnages affublés de faux nez, de faux ventres…) mais ils ne sont plus que des signes de reconnaissance du cinéaste envers son public. Burton laisse la technique prendre en charge leur singularité, leur étrangeté et ne cherche même plus à leur donner une existence, une profondeur. Même le chapelier interprété par Johnny Depp (d’habitude si bien chez Burton !) m’a paru bien terne et le numéro de l’acteur bien émoussé (il nous refait un mélange de Willy Wonka et d’Ed Wood).
De la même manière, ces corps « nouveaux » mal élevés (Beetlejuice) ou absolument réfractaires aux dogmes des conventions sociales laissent place à une héroïne sans ambiguïté, finissant en Jeanne d’Arc (avec armure adéquat) au service du Bien.
On se dit alors que Tim Burton n’a pas pu résister aux studios Disney. Impression renforcée le temps d’un épilogue que je trouve absolument atroce puisque Alice renonce à son mariage forcé (ouf !) pour devenir… représentante d’une compagnie et faire du commerce avec la Chine ! Le merveilleux et la fantaisie de Lewis Carroll se transforme soudainement (et sordidement) en apologie du « rêve disneyen » de conquête du monde et de colonisation totale des imaginaires.
Adieu l’enfance et le rêve : au dernier round, c’est le capitalisme le plus crapuleux qui l’emporte par KO !
NB : Je rêve toujours de découvrir la version de 1933 d'Alice au pays des merveilles de Norman Z. McLeod avec, notamment, Gary Cooper et WC.Fields dans le rôle d'Humpty-Dumpty. Est-ce que quelqu'un sait si ce film existe en DVD?