La jeunesse de la bête (1963) de Seijun Suzuki avec Joe Shishido. (Elephant films)Sortie le 2 décembre 2014

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Tournée dans le foulée de Détective bureau 2.3, La jeunesse de la bête illustre parfaitement les grands principes du cinéma de Suzuki. Il s'agit pour le cinéaste de tourner vite et de proposer d'infimes variations autour des mêmes thèmes. Nous retrouverons donc ici le même acteur principal (l'extraordinaire Joe Shishido), incarnant le même type de personnage (un détective solitaire) plongé dans une intrigue assez similaire à celle de Détective bureau 2.3. Pour le héros, il s'agit en effet de se faire passer pour un petit voyou afin de se faire repérer et engager par un gang de yakuzas.

Mais alors que dans le précédent film, il s'agissait pour le détective d'aider une police impuissante à arrêter les exactions des gangsters, Joe se démène ici pour venger la mort d'un ami. A la farce anarchisante succède un film beaucoup plus sombre où Suzuki n'hésite pas à décrire les scrupules (ou l'absence de scrupules) moraux de son personnage.

Charles Tesson a parfaitement raison d'établir une comparaison entre les méthodes du cinéaste japonais et celles de Jacques Tourneur. Si leurs films n'ont sans doute rien à voir (en terme d'esthétique et de propos), ils s'inscrivent dans le cadre même d'une esthétique de série B où l'enjeu est systématiquement de dépasser le caractère stéréotypé du récit par le style et un attachement précis à des détails.

 

Honnêtement, La jeunesse de la bête souffre d'un scénario un peu convenu et assez confus (j'avoue m'être un peu perdu devant une profusion de personnages appartenant à des gangs rivaux). Mais cette faiblesse est compensée par une mise en scène constamment inventive.

Le film s'ouvre par une scène en noir et blanc où la police découvre la mort de l'ami de Joe, crime maquillé en double suicide (il est au bras de sa prétendue maîtresse). A partir de là, après une transition assez belle où un camélia en couleur se détache d'un plan en noir et blanc, le film adopte les couleurs vives, « pop » qui faisaient le charme de Détective bureau 2.3.

Il y a du Godard dans le style de Suzuki avec des travellings latéraux qui balaient des espaces confinés, un montage heurté, un certain goût pour la distanciation (quelques scènes se déroulent pendant qu'un film de Suzuki est projeté sur un écran de cinéma, annonçant les sublimes moments du « film projeté » dans La marque du tueur) et pour les jeux de décalage entre l'image et le son. A ce titre, l'un des plus extraordinaires moments de La jeunesse de la bête est ce plan-séquence où les yakuzas observent Joe dans un music-hall depuis une pièce insonorisée. La virtuosité du mouvement de la caméra combinée à un travail très minutieux sur le son offrent ici une sorte de quintessence de l'art de Suzuki.

 

Encore une fois, le cinéaste suit les traces de son héros charismatique pour s'infiltrer chez les yakuzas et porter un regard ironique sur ces gangsters de pacotille. Aucune fascination pour les bandits chez lui mais, au contraire, une volonté de ridiculiser leurs rites archaïques. Dans Détective bureau 2.3, c'est l'impuissance qui caractérisait les yakuzas. Ici, c'est la dimension clairement homosexuelle de ces « jeux » violents entre bandes de garçons que met en valeur le cinéaste. Un des complices de Joe lui affirme qu'il ne s’intéresse « ni au vin, ni aux femmes » (alors qu'avec l'art, c'est sans doute les seules choses qui vaillent sur cette planète!) tandis qu'un des chefs est peint comme une grande folle qui ne cesse de bécoter son chat (la scène est assez drôle). Suzuki raille les yakuzas précisément sur le point sur lequel ils voudraient bâtir leur réputation : leur prétendue virilité.

Du coup, les personnages féminins, même s'ils restent secondaires, sont dotés d'une profondeur et d'une complexité qui font largement défaut aux pantins interchangeables masculins.

 

Moins abouti et original que La marque du tueur, La jeunesse de la bête est un film sombre et désabusé qui prouve une fois de plus la singularité et l'originalité du style de Seijun Suzuki.

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