Her (2013) de Spike Jonze avec Joaquin Phoenix, Amy Adams

 pasmal.jpg

Dans un futur proche, Theodore (Joaquin Phoenix) écrit des lettres d'amour pour les autres. Il traîne également son ennui et sa solitude dans une mégalopole déshumanisée. Un beau jour, il adopte un OS, nouveau système d'exploitation informatique doté d'une intelligence exceptionnelle, capable de s'adapter parfaitement à l'utilisateur. Theodore lui donne une voix féminine et entame une relation bizarre avec « Samantha » dont il va finir par tomber amoureux...

 

Film d'anticipation où le futur ressemble étrangement à notre présent, Her repose sur un point de départ original qui évoque à la fois les questionnements classiques sur les relations homme/machine (depuis 2001, l'Odyssée de l'espace) tout en traitant d'une histoire d'amour singulière qui rappelle l'étrange et méconnu I love you de Ferreri où Christophe Lambert tombait amoureux d'un porte-clé doté d'une voix féminine.

Alors que son postulat laissait présager de nombreuses pistes narratives et thématiques, Spike Jonze ne parvient pas totalement à être à la hauteur. Disons qu'il y a deux film dans Her.

Le meilleur, c'est celui qui décrit avec une belle acuité le portrait d'une solitude « moderne ». Dans des décors « high-tech » (les buildings de Los Angeles mais également des vues de Shanghai) et une belle lumière douce (signée Hoyte Van Hoytema); le cinéaste nous montre un homme qui n'a toujours pas digéré sa rupture avec sa femme (il ne parvient pas à signer les papiers du divorce) et qui vit dans la plus grande des solitudes. L'intelligence de Jonze est de parvenir à faire un état des lieux particulièrement pertinent des « nouvelles solitudes » en ce sens que Theodore est constamment « connecté » avec les autres mais qu'il n'évolue pas moins dans sa propre bulle.

Sa vie se résume à un dialogue constant avec les machines : consulter ses mails, en envoyer, regarder des photos déshabillées sur son portable, jouer à des jeux virtuels. Les séquences consacrées au jeu vidéo sont assez étonnantes. Devant un immense mur lumineux, Théodore fait évoluer son personnage dans une sombre grotte. La manière dont il utilise ses mains pour faire avancer son bonhomme virtuel donne l'impression de voir un type se masturber devant son écran. Image saisissante des solitudes d'aujourd'hui : le jeu vidéo comme le film porno (Theodore confie qu'il hésite sans arrêt entre les deux) comme plaisir solitaire et vaguement honteux. Et cette grotte où butte le personnage virtuel est l'image parfaite de Theodore qui n'arrive pas à voir, selon l'expression consacrée, le bout du tunnel...

Il y a encore cette scène de « sexe virtuel » qui annonce la relation amoureuse qui va se nouer par la suite. Notre homme se connecte à un « chat » de « femmes qui n'arrivent pas à dormir » et débute une abracadabrante scène de sexe « vocale » où l'inconnue en ligne demande à se faire « étrangler avec un chat mort » !

Jonze montre parfaitement les traits d'une époque où l'individu peut à tout moment entamer des relations éphémères de tout type avec de parfaits inconnus puis y mettre fin d'un simple « next » comme sur les sites de type Chatroulette. Le film regorge d'images assez perspicaces sur une époque où l'on ne peut plus aimer une seule personne sans être en contact avec 600 autres et où l'on ne sait plus regarder autour de soi, les yeux constamment rivés sur son écran de téléphone. Bien heureusement, le cinéaste ne joue pas la carte du film « moraliste » qui viendrait regretter la « vraie vie » d'avant mais il pointe néanmoins bien ce que cette illusion du « contact » permanent masque comme réelle solitude.

Joaquin Phoenix joue avec beaucoup de délicatesse et de sensibilité ce personnage un peu décalé par rapport à la réalité ; homme solitaire incapable de s'engager dans une relation qui le placerait au cœur du Réel.

 

Arrive alors le « deuxième » film de Spike Jonze qui est l'histoire d'amour de Theodore et de son OS. Pour moi, c'est là que le bât blesse dans la mesure où le cinéaste ne va pas jusqu'au bout de l'incongruité de son récit. En effet, passée la façon assez jolie dont la machine et l'homme se cherchent et se séduisent, Her devient une comédie romantique assez classique ou toutes les étapes du genre seront respectées : amour fou et un peu régressif (les scènes « joyeuses » sont assez réussies), distance, jalousie, disputes, réconciliation... Cet aspect conventionnel me paraît être la limite du film dans la mesure où, contrairement à Ferreri, Jonze est incapable de développer les aspects névrotiques, psychotiques et ambiguës qu'induisait un tel sujet. Cette Samantha n'est plus cette altérité à laquelle tout un chacun est confrontée dans une relation amoureuse mais une extension de Theodore. Il n'y a plus de différenciation (les relations avec les OS sont d'ailleurs perçues comme strictement « normales »), de mystère mais le seul amour du Même.

Ceci dit, cet amour du Même propre à notre époque aurait pu être un très bon sujet mais le cinéaste ne le « creuse » pas assez, se contentant d'une amourette en fin de compte assez lisse, sans les aspérités qu'on pouvait attendre d'une telle relation (repli sur soi, addiction, etc.).

 

Ces réserves posées et malgré quelques longueurs (il y a 20 minutes de trop dans ce film), Her est globalement séduisant et plutôt bien écrit. Mais rien n'empêche cette légère frustration qui nous fait dire que le film n'a pas été au bout de ses potentialités...

Retour à l'accueil