La belle et la bête (1946) de Jean Cocteau avec Jean Marais, Josette Day

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Si Jean Cocteau a déjà à son actif un moyen-métrage célèbre (Le sang d’un poète. 1931) lorsqu’il réalise La belle et la bête, ce film marque néanmoins un retour éclatant au cinéma de celui qui s’illustra brillamment dans tous les domaines artistiques (théâtre, roman, poésie, dessin…) et qui signait ici son premier long-métrage.

D’une certaine manière, c’est le film le moins « personnel » de Cocteau : ni une adaptation de l’une de ses pièces (comme L’aigle à deux têtes ou Les parents terribles) ; ni une de ses versions très intimes du mythe d’Orphée (Orphée, Le testament d’Orphée). Et pourtant, il s’agit sans doute de son plus beau film, d’un des rares exemples de parfaite transposition d’un conte du 18ème siècle à l’écran (il faudra ensuite attendre le Peau d’âne de Demy pour retrouver une pareille réussite).

 

L’histoire du conte de madame Leprince de Beaumont est célèbre : par une nuit d’orage, un marchand à demi-ruiné se retrouve dans un étrange château où il cueille une rose pour l’offrir à sa fille. A ce moment, une créature monstrueuse apparaît et lui promet la mort pour ce vol à moins qu’une de ses filles se sacrifie à sa place. C’est ce que fera Belle (Josette Day) en prenant la place de son père. La bête ne la tuera pas mais en tombera amoureux…

 

Que dire de plus aujourd’hui si ce n’est que le film est toujours un véritable enchantement près de 70 ans après sa réalisation ? Sans doute convient-il une fois de plus de louer la magnificence des décors, la splendeur de la photographie signée Henri Alekan et l’inventivité de Cocteau en matière de trouvailles fantastiques et poétiques. Comment oublier ces bras humains sortant des murs et tenant les candélabres ? Comment ne pas succomber à la beauté stupéfiante de la séquence où Belle arrive au château et semble littéralement glisser au-dessus du sol des couloirs tandis que le vent s’engouffre dans les rideaux blancs ? Il faudrait également citer les larmes de l’héroïne qui se transforment en diamants ou encore le rôle primordial des miroirs (on sait l’importance qu’ils ont chez Cocteau comme ouverture sur un autre monde) ou de ce gant magique qui permet à Belle de se déplacer de manière instantanée. 

L’intelligence de Cocteau, c’est de mettre ce merveilleux, ces « effets-spéciaux », cette magie au service du cinéma. Il parvient à incarner ce conte (le réalisme « ontologique » du septième art selon Bazin) tout en conservant sa dimension « poétique » (mot galvaudé mais qui convient parfaitement à La belle et la bête).

 

De la même manière, on sait gré au cinéaste touche-à-tout de ne pas sombrer dans la niaiserie sucrée que revêtent parfois les contes enfantins (surtout lorsqu’ils sont adaptés par Walt Disney !). Le film de Cocteau comporte des zones obscures, plus refoulées. Il ne s’agit pas de faire un éloge bêta de la « beauté intérieure » s’opposant à une apparence extérieure finalement sans grande importance mais de montrer plutôt que cohabite en chaque individu une part d’animalité (très clairement liée au sexe dans le cas présent). La Bête ne voit Belle qu’à certaines heures de la journée lorsqu’elle est certaine de ne pas être esclave de ses pulsions (scène très impressionnante où on la voit débarquer les habits en haillon et du sang dessus). Il n’y a pas une opposition entre une apparence physique atroce et une intériorité magnifique mais un lien inextricable entre cette part animale et obscure et ce que l’on nommera, faute de mieux, la beauté de l’âme.

 

La belle et la bête est également traversé par une vision idéaliste de la condition humaine en ce sens que l’amour permet de transfigurer un vilain petit canard en cygne majestueux. C’est par un regard amoureux que Belle parvient à transformer la Bête en un beau prince charmant. En allant un peu plus loin dans cette direction, on pourrait dire que c’est en portant un regard amoureux sur le monde que l’on peut le transfigurer en un paysage féérique et en un univers mystérieux et poétique.

C’est indéniablement ce regard que possède Cocteau lorsqu’il réalise ce qui reste encore aujourd’hui le plus beau film fantastique français de tous les temps…

 

NB : Ma seule petite réserve (mais elle est infime) concerne le jeu de Jean Marais. Est-ce une réticence personnelle (je n’ai jamais tellement apprécié cet acteur) mais je trouve que son jeu hyper-théâtral à un peu vieilli. Cela n’obère en aucun cas les qualités de ce chef-d’œuvre !

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