pasmal.jpgLe gai savoir (1968) de Jean-Luc Godard avec Juliet Berto, Jean-Pierre Léaud

 

 

 


bof.jpgLuttes en Italie (1969) du groupe Dziga Vertov (Jean-Luc Godard, Jean-Pierre Gorin) avec Anne Wiazemsky

 

Je découvre l’œuvre « politique » de Godard dans l’ordre proposé par le coffret DVD édité par Gaumont et non pas en ordre « chronologique ». Si Le gai savoir a été tourné pour l’ORTF (qui a pourtant refusé de le programmer) avant les évènements de Mai 68,  Luttes en Italie est plus tardif et constitue l’avant-dernière œuvre du groupe Dziga Vertov sur lequel nous allons revenir.

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Le gai savoir est un film d’avant la rupture mais qui ressemble à s’y méprendre à ce que seront les films « militants » de Godard par la suite. Au début de l’année 68, le cinéaste enferme deux des comédiens de La chinoise (Léaud et Juliet Berto) dans les studios de l’ORTF. Ces deux jeunes gens vont alors palabrer longuement, évoquer les « saloperies du patronat français », questionner le rapport du spectateur à l’image et aux sons, réfléchir aux possibilités de révolution, remettre en question tout ce qui se fait en terme d’éducation… En appelant son personnage masculin Emile Rousseau, Godard fait mine de répondre à la commande télévisuelle (il s’agissait de faire un film consacré à l’éducation et à l’enseignement !) pour mieux la pervertir. Le film est avant tout un essai didactique où le cinéaste expose sans grande finesse son crédo marxiste-léniniste et ses sympathies maoïstes.

Même si Godard utilise ici le cinéma comme un « tableau noir » pour y inscrire son discours, Le gai savoir n’est pas un film négligeable. Comme beaucoup de film du cinéaste à cette époque, on peut dire que le très pénible voisine avec de belles fulgurances. Dans le premier cas, songeons à cette dizaine de minutes où Godard se contente d’un écran noir et chuchote en voix-off des informations très théoriques tandis qu’un insupportable sifflement brouille sa voix. Côté fulgurance, Antoine de Baecque n’a pas tort de souligner la beauté purement plastique des collages godardiens. Au cours des scènes dialoguées entre les deux personnages vient s’intercaler un patchwork d’images dessinées, de slogans, de coupures de presse détournées…Godard joue avec les mots, la graphie, les couleurs et se montre, une fois de plus, très inventif.

A la fin du film, il se livre à une série de pastiches (du cinéma « expérimental », psychologique ou brechtien) qui lui permet de réfléchir aux moyens de faire « politiquement du cinéma politique » (le groupe Dziga Vertov n’est pas loin). Pour le cinéaste, il s’agit de déterminer d’ores et déjà une méthode tranchant avec tout ce que le cinéma a fait jusqu’à présent. L’image étant une projection d’une idéologie bourgeoise, il convient désormais de la remettre radicalement en question. Le dialogue assez amusant sur les photos de dessous que Juliet Berto s’apprête à faire ne dit pas autre chose. Quand Léaud lui propose de passer par une agence, la jeune femme refuse catégoriquement en soulignant que ce sont toujours les mêmes photos que l’on voit, de L’humanité au Figaro alors qu’il doit bien exister un moyen pour photographier de manière révolutionnaire les dessous d’une militante ! (je cite de mémoire). 

A la fin du film, Léaud forge un néologisme qui pourrait faire office de programme pour le cinéma à venir de Godard et parle d’un mélange de « sentiment et de méthode ». Si la méthode est aride et d’un didactisme désormais très vieillot, ce sont ces « sentiments » qui touchent dans Le gai savoir. Le cinéaste, lorsqu’il oublie un peu son discours, nous offre de superbes gros plans où il sculpte le visage de ses comédiens plongés dans l’obscurité du studio. Cette attention picturale aux visages annonce le retour au cinéma des années 80, notamment Passion ou Je vous salue Marie.

Autre jolie idée : celle où il est dit que les plans « manquants » dans ce film, d’autres les feront ailleurs (Straub en Allemagne, Bertolucci en Italie, Rocha au Brésil). Godard ne se voit plus comme « auteur » mais comme une pièce d’un grand puzzle que l’on pourrait nommer « cinéma au service de la Révolution ».

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Après 68, Godard va se lancer dans l’aventure du cinéma collectif. Idée assez utopique puisque les films, même s’ils ne sont pas signés, portent en eux la marque du cinéaste et qu’ils n’ont pu se faire que sur son nom. Il commence par réaliser des films avec Jean-Henri Roger (British sounds, Pravda) qui seront rétrospectivement englobés dans le collectif Dziga Vertov puis rencontre Jean-Pierre Gorin à l’occasion du tournage de Vent d’est, western « gauchiste » avec Cohn-Bendit. C’est avec ce cinéaste que Godard tournera Jusqu’à la victoire (film inachevé sur les luttes en Palestine qui deviendra au milieu des années 70 Ici et ailleurs), Luttes en Italie, Vladimir et Rosa et Tout va bien (avec Montand et Jane Fonda).

 

Luttes en Italie est encore un film de commande de la télévision mais la RAI refusera finalement de le diffuser. Contrairement à ce que son titre pourrait laisser penser, la majeure partie du film a été tournée en France, dans l’appartement de Godard. On y voit une jeune fille prendre peu à peu conscience de ses contradictions de militante puisqu’elle appartient à la classe bourgeoise et qu’elle a même le loisir, ô crime suprême, de pouvoir faire l’amour l’après-midi ! (une autocritique est nécessaire, camarade !) Adapté d’un texte théorique d’Althusser (je sens déjà vos paupières qui s’alourdissent !), le film est (dé)construit sur une succession de vignettes représentant son quotidien : la famille (gros plan sur une assiette de soupe), les loisirs (Paola essaye une chemise), les études, etc. Mais l’essentiel passe par une voix-off qui entreprend, une fois de plus, de décortiquer les mécanismes du montage, les pièges de l’image et du son afin de réfléchir à de nouvelles manières de faire du cinéma.

Coïncidence malheureuse pour le film, je l’ai découvert au moment où je suis en train de lire le Véridique rapport sur les dernières chances de sauver le capitalisme en Italie de Gianfranco Sanguinetti. Et c’est peu dire que la puissance subversive et l’intelligence analytique de cet essai écrase littéralement le catéchisme maoïste de Godard qui se contente, pour tout discours, de renvoyer dos-à-dos « l’idéalisme » (comprenez « la société bourgeoise ») et le « révisionnisme » (à savoir l’URSS) tout en abondant sans recul dans le sens des thèses de la « révolution culturelle » chinoise ! C’est d’autant plus frappant que les deux œuvres évoquent (mais Godard ne fait que les survoler) les évènements de Milan en 69 (l’attentat de la Piazza Fontana).

A part quelques séquences où le cinéaste fait preuve de son sens du montage, il n’y a plus qu’un pesant discours qui plombe littéralement tout le film. C’est d’ailleurs étonnant que Godard (et Gorin) soit aussi critique avec les images et les sons et qu’il ne prenne pourtant pas la moindre distance vis-à-vis d’un catéchisme marxo-lénino-maoïste lourdement asséné.  

 

D’après De Baecque, Luttes en Italie est sans doute le plus aride et le plus austère des films « Dziga Vertov ». Espérons que Pravda, Vent d’est et surtout Vladimir et Rosa (celui en qui j’espère le plus) sauront nous réconcilier avec ce cinéma militant dogmatique…

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