Année bissextile (2010) de Michael Rowe avec Monica Del Carmen

 pasmal.jpg

Hier, en entrant dans mon cinéma préféré,  j’avais le choix entre la France (celle de  L’illusionniste et son passé idéalisé) et le Mexique (nation plus remuante et qui a décroché la caméra d’or à Cannes avec ce film). Pour rester au diapason d’une actualité sportive que je suis avec une ferveur (mes amis footeux Ed et Joachim s’en doutent !) qui n’a d’égale que celle que manifestait feu Raymond Barre lorsqu’il assistait aux débats de l’assemblée nationale ; j’ai opté pour la victoire des mexicains (en pensant surtout que le film allait être plus vite retiré de la circulation que le film de Chomet susnommé).

Si le résultat n’est sans doute pas aussi délectable que la déroute de notre équipe nationale (vous ne pouvez pas savoir à quel point le sport me fait jubiler en ce moment d’autant plus que cette débâcle semble vraiment coïncider parfaitement avec l’effondrement du sarkozysme et son arrogance bling-bling : les beaufs friqués et m’as-tu-vu ne font plus rêver et c’est tant mieux !), Année bissextile s’avère être une œuvre très prometteuse et Rowe un cinéaste à suivre.

Le sujet, sulfureux, a déjà été divulgué un peu partout. Laura est une jeune femme ordinaire, journaliste, qui crève de solitude dans son petit appartement à Mexico. Les hommes qu’elle ramène chez elle certains soirs pour tromper son ennui ne restent jamais et elle passe ses journées entre son ordinateur, son téléphone et la fenêtre où elle observe le quotidien de ses voisins, rêvant sans doute à une vie similaire (une vie de couple paisible). Tout va basculer le jour où elle rencontre un homme qui va rester mais qui, pour jouir, va également la frapper et l’entraîner dans une relation sadomasochiste jusqu’au-boutiste.

Jusqu’où peut-on aller par amour ? Telle est la question que pose un film qui s’aventure dans les zones dangereuses où les pulsions sexuelles voisinent avec les pulsions de mort, où la passion rime avec souffrance et où l’amour se conjugue avec le plus grand abandon de soi. Le film semble, à un moment donné, emprunter le chemin de L’empire des sens, le chef-d’œuvre sublimissime de Nagisa Oshima. Sauf que le regard de Rowe est beaucoup plus froid, beaucoup plus clinique. On pense davantage à quelqu’un comme Catherine Breillat et à des films comme Parfait amour ! ou Romance. Il y a chez le cinéaste mexicain la même idée que c’est dans l’humiliation et la soumission la plus totale que la femme parvient, paradoxalement, à s’épanouir et à exister. Le film s’aventure moins sur le terrain de la « guerre des sexes » comme chez Breillat mais montre une héroïne qui s’accroche à son petit despote (par ailleurs très tendre et affectueux une fois les ébats clos) parce qu’elle existe réellement dans ses bras.

Il faut prendre au premier degré cette scène très crue où l’homme pisse sur sa maîtresse et lui demande quel effet ça fait. Elle lui répondra : « c’est tout chaud ». Aussi violente et déviante que soit cette relation amoureuse, elle lui apporte un peu de « chaleur » dans un univers glacial et déshumanisé.

Rowe filme cette passion en optant pour le parti pris radical du huis clos et du point de vue unique (celui de Laura). La mise en scène est à la fois très crue et épurée, sans pour autant sombrer dans les travers de « l’auteurisme international » (de Steve McQueen à Mungiu en passant par Haneke). Il ne s’agit pas de « manipuler » le spectateur par des cadrages très sophistiqués et de longs plans-séquences « signifiants » mais d’épouser réellement le point de vue d’un personnage pour nous faire ressentir « physiquement » son enfermement (le hors champ n’existe que par le téléphone et les regards qu’elle jette à l’extérieur) et sa solitude. L’appartement devient une sphère close où Laura semble perdre tout contact avec le monde extérieur.

Tout n’est pas parfait dans ce film et on pourra reprocher à Rowe d’avoir trop voulu « boucler » son récit, s’appuyant ainsi sur des ficelles narratives un peu faciles (le drame psychanalytique de Laura qui n’est pas explicitement dit mais sous-entendu de manière un peu lourdingue, le « compte à rebours » un peu trop évident dès le début du film, etc.).

Mais Année bissextile fait montre d’une audace assez roborative lorsqu’il s’agit d’aborder la question des corps à l’écran (je n’ai pas vu Bataille dans le ciel mais il semblerait que le cinéma mexicain se spécialise dans les films allant assez loin dans la représentation de l’acte sexuel à l’écran) et révèle une comédienne que j’ai trouvé absolument remarquable. Derrière son physique ordinaire, Monica Del Carmen parvient à composer un personnage à la fois opaque et émouvant. Un être solitaire, muré dans ses traumatismes et ses fols espoirs, capable de mourir pour se sentir aimé de quelqu’un.

Est-ce que le spectateur aura réussi à saisir à la fin du film ce personnage si loin, si proche ? Pas sûr mais c’est cette ambiguïté qui fait tout l’intérêt d’Année bissextile… 

Retour à l'accueil