Mud (2012) de Jeff Nichols avec Mathew McConaughey, Reese Witherspoon, Michael Shannon

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Jeff Nichols est décidément un cinéaste qui va où on ne l'attend pas. L'excellent Take Shelter empruntait la voie du film « catastrophe » et brouillait les pistes en éludant de plus en plus le côté spectaculaire du récit pour se recentrer sur un mélodrame familial.

Alors qu'il aurait pu poursuivre dans cette veine « surnaturelle », il change de cap avec Mud pour réaliser une sorte de roman d'apprentissage mettant en scène deux pré-adolescents et un fugitif planqué sur son île. Et là encore, si Nichols privilégie un certain classicisme de la forme (le film est moins immédiatement séduisant que Take Shelter) et un récit linéaire, il parvient néanmoins à nous surprendre, à faire prendre à son film d'infimes bifurcations le menant d'un parcours initiatique classique (l'enfant qui trouve dans Mud un père de substitution) à un mélodrame feutré (avec l'apparition du beau personnage féminin qu'incarne Reese Witherspoon) tout en frisant ça et là le thriller (les gangsters qui cherchent à faire la peau au fuyard).

 

Mais reprenons depuis le début. Mud est avant tout axé sur les liens qui, peu à peu, vont se tisser entre deux gamins livrés plus ou moins à eux-mêmes : Neck vit seul avec un oncle pécheur et grand coureur de jupons tandis qu'Ellis vend des crabes avec son père mais supporte mal la séparation prochaine de ses parents. En effet, ce divorce entraînerait un déménagement vers la ville et la destruction, à terme, de la maison flottante où ils vivent. Comme dans Les bêtes du Sud sauvage, Nichols fait vivre de manière très forte cette Amérique rurale du bord du Mississippi et nous fait ressentir constamment l'opposition entre son caractère sauvage et la « civilisation » lointaine... Mais nous y reviendrons.

La rencontre avec Mud fait pour eux office de rite d'initiation. Embusqué sur son île, ce mystérieux fugitif va solliciter l'aide des gamins pour de la nourriture dans un premier temps puis pour remettre à flot un vieux bateau...Dans cette relation qui se noue entre Ellis et Mud, on retrouve des réminiscences des Contrebandiers de Moonfleet de Lang où le pirate profitait dans un premier temps du petit John pour mener à bien ses desseins avant d'évoluer au contact de l'enfant. Même type d'interaction chez Mud qui devient à la fois une sorte de père mais également de miroir d'Ellis. Et c'est là que le film devient plus subtil et moins convenu : c'est moins le rite initiatique qui intéresse Nichols que la manière dont le petit enfant se « projette » dans Mud pour deviner ce qu'il deviendra adulte : un idéaliste trahi par une femme, un chevalier au grand cœur brutal mais pour qui l'amour restera interdit. En aidant Mud à reconquérir celle qu'il aime depuis l'enfance (Juniper, jouée par Reese Witherspoon), Ellis cherche à la fois à retrouver une certaine foi dans le couple puisque celui formé par ses parents est en train d'exploser et prévenir les premières déceptions amoureuses qu'il est en train de vivre. Pour qu'il puisse prétendre au bonheur, il faut d'abord qu'il établisse que ce bonheur est possible en trouvant des exemples.

Cette construction « en miroir » (l'épisode des serpents, par exemple) qui permet à Nichols de créer des effets de rime entre l'existence passée de Mud et celle, à venir, d'Ellis fait tout l'intérêt d'un film qui sait fouiller les portraits de ses personnages (Juniper, qui pourrait n'être d'abord que la pauvre victime, puis la garce qui trahit, est un personnage complexe et subtil) et leur donner une véritable épaisseur. De Mud à l'ancien Marine joué par Sam Shepard, tous les personnages sont fort bien dessinés et dotés d'une véritable personnalité.

 

Et il y a le Mississippi... Personnage à part entière du film, le fleuve donne une véritable identité à Mud, une ambiance assez caractéristique de ce Sud des États-Unis. Le caractère sauvage de l'environnement, la prédominance de l'élément aquatique parviennent à restituer de manière assez intense une atmosphère assez unique, à la fois ancrée dans le terroir et dans une certaine étrangeté (voir les beaux trajets effectués par les garçons pendant la nuit).

Ces longues dérives sur le fleuve offrent une toile de fond idéale à la rêverie: celle d'un enfant devenant adulte et qui souhaiterait tout simplement que ses désirs deviennent réalité...

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