The killing kind (1973) de Curtis Harrington avec Ann Sothern, John Savage (Editions Artus films)

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Pour être tout à fait franc, il faut commencer par vous avouer que je n'avais jamais entendu parler de ce mystérieux Curtis Harrington, personnage curieux et homme à tout faire qui fréquenta la cinémathèque de Langlois, écrivit aux Cahiers du cinéma, fit l'acteur chez Kenneth Anger1, réalisa quelques séries B connues des amateurs de fantastique (Ruby) et tourna beaucoup pour la télévision (des téléfilms mais aussi des épisodes de la série Wonder Woman!).

Les indispensables éditions Artus ont eu, une fois plus, du flair en allant exhumer cet étonnant The killing kind, thriller horrifique inclassable qui évoque certains de ces météorites improbables qui éclairent de temps en temps le ciel du cinéma fantastique américain (songeons au très beau Messiah of evil).

 

Accusé de viol, le jeune Terry (John Savage, avant Cimino) sort de prison après deux ans de détention. Il se rend chez sa mère qui tient une pension et coule une morne existence tout en caressant le projet de se venger de ceux qui l'ont accusé.

 

Avec The killing kind, Curtis Harrington nous propose le portrait d'un jeune homme frustré qui évoque furieusement Psychose d'Hitchcock. Entièrement sous la coupe d'une mère envahissante avec qui il entretient des relations ambiguës (lorsqu'ils s'embrassent, c'est sur la bouche), Terry va se laisser peu à peu envahir par ses névroses. D'une certaine manière, le film pourrait être une espèce de prequel du classique d'Hitchcock, une manière d'envisager le quotidien du jeune Norman Bates lorsqu'il vivait encore avec sa mère (les personnages ne vivent pas dans un motel mais dans une pension et il y a bel et bien un meurtre dans une baignoire).

Plutôt sobre, la mise en scène nous épargne les classiques épanchements sanglants pour se concentrer sur les dérèglements d'un cerveau malade en distillant l'angoisse de manière progressive. Terry, comme le montre une scène onirique assez étonnante, est resté un bébé incapable de trouver sa place dans la société des adultes. De la même manière, son rapport à la sexualité a été totalement perverti par l'omniprésence de la figure maternelle (d'une certaine manière, il est en quelque sorte le frère de Carrie, la jeune héroïne du film de De Palma).

Curtis Harrington traduit parfaitement ce dérèglement mental par une mise en scène qui fait de la pension un théâtre où tout le monde vit sous le regard de l'autre. D'un côté, il y a Terry qui ne peut envisager la femme que sous la forme d'un objet fantasmé (on le voit regarder des magazines salaces ou mater en douce sa voisine qui se déshabille) mais il y a également cet étonnant personnage de vieille fille frustrée vivant avec son père et qui semble toujours observer le jeune homme. Par de jolies plongées énigmatiques (elles brouillent quelques instants le point de vue adopté), le cinéaste distille un certain trouble en faisant du regard une véritable névrose.

 

Ce qu'il y a de beau aussi dans The killing kind, c'est une sorte d'esthétique des années 70 qui a aujourd'hui beaucoup de charme. A un moindre degré que dans les grands films de ces années-là, on retrouve chez Harrington une sorte de soupçon généralisé quant aux rapports entre les êtres humains (ne subsistent que des bouquets de névroses) et le tout semble nimbé d'un voile de tristesse qui n'appartient qu'à cette époque (je pense à Breezie de Clint Eastwood ou Les gens de la pluie de Coppola dans des genres très différents). Le duo Ann Sothern/ John Savage fonctionne à merveille : elle en mère envahissante et truculente, lui en psychopathe névrosé (pas très loin non plus, toutes proportions gardées, du personnage principal du Voyeur de Michael Powell).

 

Il manque peut-être juste une petite pointe de folie (le récit reste un peu trop linéaire) ou de partis-pris esthétiques plus affirmés pour faire de The killing kind un très grand film. Ça reste néanmoins une œuvre vraiment intrigante qui donne envie d'en savoir plus sur Curtis Harrington...

 

 

 

 

1J'ai appris tout cela grâce à la passionnante présentation du cinéaste effectuée par Frédéric Thibaut en bonus du DVD.

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