© Les films du Carrosse

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Il est de coutume de dire que François Truffaut aura tout au long de son œuvre alterné les films les plus sombres et personnels avec des « divertissements » plus légers et plus anodins. Un regard rapide nous inciterait à classer Baisers volés dans cette deuxième catégorie. Ces troisièmes aventures d’Antoine Doinel (après l’enfance dans Les 400 coups et l’adolescence dans le moyen-métrage Antoine et Colette) se caractérisent effectivement par leur légèreté, leur douce nostalgie et de nombreuses pointes d’humour. Tourné en 1968, le film semble fuir délibérément toute dimension « sociale », tout pompeux propos engagé et ne se permet que quelques allusions fugaces à des mouvements de grève du moment. L’apolitisme de Truffaut lui attirera d’ailleurs l’opprobre de son « frère ennemi » Godard qui estimait qu’en allant voir ce film, le spectateur serait à la fois « baisé et volé » !

Pourtant, à y regarder de plus près, le film se révèle plus sombre ou – au moins- plus obsessionnel qu’il n’y paraît. La chanson de Charles Trenet (Que reste-t-il de nos amours ?) nappe le récit d’un léger parfum de mélancolie dès le générique. Et il y a cette scène finale incongrue où un homme engoncé dans son imper se présente au couple que forment Claude Jade et Jean-Pierre Léaud et s’adresse directement à la jeune femme sans tenir compte de son fiancé. Il lui avoue qu’il la suit depuis quelques temps, qu’il l’aime à la folie (« avant de vous rencontrer, je n’avais jamais aimé personne ») et qu’il saura se dévouer entièrement à elle puisqu’il ne travaille pas (« vous serez ma seule préoccupation »). Après cette étrange déclaration, Christine s’exclame que ce type est fou tandis qu’Antoine reste plus songeur et répond « oui, oui, surement… »

Peut-être parce qu’au fond, la conception de l’amour qu’édicte cet inconnu est la même que celle du jeune homme. En effet, dans ce parcours initiatique qui nous montrera ses premiers pas dans la vie professionnelle, il n’aura exercé que des métiers le cantonnant à la place fantasmatique du spectateur de cinéma pouvant voir sans être vu : veilleur de nuit dans un hôtel (et par conséquent capable de surprendre les couples adultères), détective privé (fantasme de pouvoir suivre de belles et mystérieuses femmes dans la rue sans se faire remarquer comme, plus tard, Charles Denner dans L’homme qui aimait les femmes) ou vendeur de chaussures (la place idéale pour se régaler des jambes des femmes).

C’est dans ce magasin de chaussures qu’il fait la connaissance de Fabienne Tabard (Delphine Seyrig) qui cristallise d’une certaine manière l’image parfaite de la Femme selon Truffaut : non pas un être de chair et de sang mais une « apparition ». La grande beauté de Baisers volés tient peut-être dans cette dichotomie entre une comédie sentimentale classique (et pas toujours très bien écrite) et les courants plus souterrains et obsessionnels qui le parcourent.

Si l’histoire d’amour entre Antoine et Christine semble dès de début placée sous le sceau de l’échec, c’est en raison de la profonde immaturité sentimentale du jeune homme à la recherche d’un Idéal féminin qui n’existe sans doute nulle part ailleurs que sur un écran de cinéma.

Et qui pouvait mieux incarner cet idéal que Delphine Seyrig pour tous les petits Antoine Doinel du monde ?

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