Chien enragé
Cujo (1983) de Lewis Teague avec Dee Wallace (Éditions Carlotta films). Sortie en BR et DVD le 18 septembre 2019
Lors d’une scène de repas à l’atmosphère lourde (les parents ne se parlent plus), le petit Tad se lève, imite un aileron de requin avec sa main et entonne joyeusement le célèbre thème des Dents de la mer. Ce petit clin d’œil n’est pas anodin dans la mesure où Cujo s’inscrit dans la (longue) lignée des films d’animaux monstrueux attaquant les êtres humains que relança Spielberg. Après les orques, les piranhas, les pieuvres, les crocodiles, les sangliers (Razorback) ou les loups, c’est au tour d’un brave Saint-Bernard de se transformer en créature belliqueuse avide de sang après avoir été mordu par une chauve-souris.
Cujo est une adaptation d’un roman de Stephen King, sans doute pas le meilleur mais témoignant néanmoins du sens du récit et de l’efficacité de l’écrivain (du moins, dans un vague souvenir qui remonte à près de 30 ans !). On pourra dire la même chose du film qui n’atteint pas les sommets de certaines adaptations de King (Carrie, Shining, Dead Zone…) mais qui n’en demeure pas moins de bonne facture.
Ce qui frappe en revoyant ce récit, c’est la manière dont Lewis Teague fait monter l’angoisse petit à petit, sans respecter les codes de l’horreur habituelle. En effet, la première attaque de Cujo n’intervient qu’à la moitié du film et le cinéaste évite par la suite les effets horrifiques trop voyants. La seconde partie est une sorte de huis clos à ciel ouvert où Tad et sa mère se retrouvent coincés dans une voiture tandis que rôde le chien enragé dans les parages. L’économie de moyens déployée pour faire sourdre l’inquiétude puis la peur est assez remarquable. Le cinéaste joue sur des décors isolés et une situation qui devient de plus en plus claustrophobe : l’espace exigu de l’habitacle, la chaleur, la crainte de manquer d’eau puis la blessure de la mère et les risques pour la vie de Tad.
Ce face à face avec le chien qui occupe toute la deuxième partie du métrage vient après un premier mouvement plus « psychologique » où Teague nous fait partager le malaise d’une femme, Donna (Dee Wallace), qui a un petit garçon merveilleux et un mari qui sait s'occuper de lui. Malgré ça, elle succombe à l’étalon du coin pour en faire son amant. La comédienne, dont le fait d’armes le plus connu est celui d’avoir été la mère divorcée de l’infernale guimauve E.T, est remarquable et nous offre un jeu tout en nuances où l’ennui de la ménagère et mère de famille isolée se conjugue avec les remords de mettre en danger une vie de famille équilibrée. Cette partie « psychologique » avive bien la ligne horrifique du film qui y gagne une dimension presque « existentielle ». On sait, depuis Moby Dick de Melville, ce que la confrontation avec un animal fabuleux peut signifier en matière de quête individuelle et d’introspection. Nous n’irons pas jusque-là pour définir Cujo mais toute la partie où cette femme se retrouve seule pour défendre son fils contre la bête est irriguée par un sentiment de culpabilité qui redouble celui de terreur.
On craint d’ailleurs à un moment que le film sombre dans le puritanisme très en vogue en ces sinistres années 80 reaganiennes. Alors que la situation semble empirer, le petit Tad réclame son papa. On se demande alors si le réalisateur ne va pas jouer la carte de la « punition » (c’est parce qu’elle a commis l’adultère que la mère est châtiée) et celle du retour à l’ordre lorsque le chef de famille reviendra pour sauver tout le monde.
Or le film évite bien heureusement cet écueil familialiste (même si on ne coupera pas au happy-end) et ne glissera pas sur la pente de ce moralisme. On peut même dire que Cujo nous offre un beau personnage féminin, nuancé, qui ne se contente pas de jouer les utilités et dont la complexité est assez rare dans ce genre de films.
On pourra regretter, çà et là, quelques petites fautes de goût (les scènes d’attaque sont plutôt ratées) mais, dans l’ensemble, le film est un bon suspense horrifique qui n’accuse pas trop le choc des années…