Le diable probablement
Les Rites sexuels du diable (1982) de José Ramon Larraz avec Helga Liné, Vanessa Hidalgo (Artus Films)
Méconnu en France sinon par les amateurs pur jus de cinéma bis, José Ramon Larraz a pourtant derrière lui une œuvre assez conséquente (autour de 25 longs métrages) et a même bénéficié d'une sélection officielle à Cannes en 1974 avec son film d'horreur Symptoms. Parallèlement à sa carrière de réalisateur, il est également scénariste et dessinateur de bandes dessinées. Il intégrera même l'équipe du journal Spirou et Pilote publiera sa BD Yves La Brousse.
Au cinéma, il participe d'une certaine manière à ce renouveau du cinéma fantastique espagnol qui naquit dans le sillage des films de Jess Franco (L'Horrible Docteur Orlof) puis ceux de Paul Naschy qui revisita les grands mythes du fantastique. Alors que la censure franquiste était très vétilleuse, elle fut relativement plus clémente lorsqu'il s'agissait de juger des œuvres se situant sur le terrain de l'imaginaire. Les cinéastes investirent alors ce terrain de jeu pour glisser quelques critiques contre le régime mais de manière plus ou moins masquée (songeons au beau film d'Aranda La Mariée sanglante)
Contrairement à certains de ses collègues, Larraz débute comme cinéaste en partant en Angleterre où il tourne, en 1969, son premier long-métrage : L'Enfer de l'érotisme (qu'Emmanuel Le Gagne, dans le très éclairant bonus où il apparaît en compagnie de Sébastien Gayraud, considère comme l'un des meilleurs films du cinéaste). Il ne reviendra en Espagne qu'à la mort du caudillo. De retour au pays natal, il abandonne le genre horrifique dans lequel il s'était illustré (Symptoms, Vampyres...) pour signer un drame bourgeois (Le Voyeur) et une palanquée de films relevant de l'érotisme ou de la comédie « sexy » (El Periscopio, connu sous le titre de L'infirmière a le feu aux fesses!)
Quand Larraz entreprend Les Rites sexuels du diable au début des années 80, il renoue avec les films de sa période anglaise. Le récit débute d'ailleurs dans une grande demeure des environs de Londres où une jeune femme, Carol, se rend pour régler une question d'héritage après la mort brutale de son frère. Elle est accueillie par sa belle-sœur Fiona et soupçonne très vite des pratiques étranges de son côté...
Le film reprend à son compte les grandes lignes de Rosemary's Baby de Polanski. Carol se demande si elle n'est pas victime d'une secte diabolique et si son compagnon ne fait pas partie de la conspiration. A partir de ce postulat, Larraz signe un film relativement soigné, que ce soit au niveau de la photographie ou du cadre. Il préfère privilégier une atmosphère langoureuse et étrange, distillée par petites touches, au récit à proprement parler. Sébastien Gayraud et Emmanuel Le Gagne soulignent à juste titre que le film paraît presque anachronique au début des années 80 où l'horreur devient beaucoup plus explicite et visuelle. À part une scène éprouvante (mais, malgré tout, peu saignante) où un homme qui dénonce les méfaits de la secte satanique se fait tuer par l'intromission d'une épée dans l'anus, le film n'a rien d'horrifique et l'hémoglobine en est absente. En revanche, Les Rites sexuels du diable fait la part belle à l'érotisme. Un érotisme assez franc où les comédiens sont régulièrement dépoilés (y compris la rayonnante Helga Liné, vue dans Kriminal et Si douces, si perverses de Lenzi, qui approchait alors la cinquantaine) mais qui n'outrepasse jamais les limites de la bienséance. A l'inverse des œuvres déviantes italiennes, le cinéaste prend garde à ne jamais proposer un plan inconvenant ou plus insistant sur les anatomies dévoilées. Du nu, oui, mais filmé avec une certaine distance, ce qui fait dire à Emmanuel Le Gagne que le film est finalement assez peu « érotique ». Larraz n'aimait guère, de son propre aveu, l'érotisme (à l'inverse d'un Jess Franco). Outre l'attrait commercial qu'il présentait alors, il sert davantage ici à illustrer un certain folklore sataniste avec ses rites inquiétants (à base de bougies noires) et de cérémonies profanes (les fameuses messes noires). Dans ce cadre, il se permet malgré tout quelques déviances assez étonnantes même si elles ne sont pas filmées comme telles. On aura droit, en effet, à des scènes relevant de la zoophilie puisque une femme masturbe (hors-champ !) un bouc avant que la bête s'accouple avec une jeune adepte de la secte. Nous ne sommes pourtant pas chez Joe d'Amato et ces « perversions » s'inscrivent plutôt dans la dimension fantastique et sataniste qui irrigue l’œuvre. Elles participent à l'étrangeté du récit plutôt que d'une volonté de choquer à tout prix.
On ne révélera pas la fin qui relève à la fois de la facilité mais qui permet néanmoins de napper l'ensemble dans une ambiguïté assez bienvenue.
Sans être inoubliable et s'adressant à un public averti (difficile de le recommander à des spectateurs ne goûtant ni l'érotisme, ni le cinéma « bis » en général), Les Rites sexuels du diable s'avère plutôt plaisant et assez bien fichu. De quoi donner envie de découvrir d'autres films de Larraz.
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