Anthologie des scènes interdites (1975) de José Bénazéraf (Editions K-Films)



Débutons cette chronique par un petit regret. Il existe visiblement plusieurs versions de cette fameuse Anthologie des scènes interdites, plus ou moins hard. Celle qui sortit en 1975 durait 1 heure 50 et comportait visiblement une longue séquence pornographique finale, composée d'extraits de La planque I et La planque II où le cinéaste mettait à l'œuvre les principes qu'il généralisera dans son mythique JB 1 (à savoir de la pure pornographie débridée, lyrique et expérimentale, incluant d'ailleurs des chutes de ces films, claps compris).

Le classement X du film est annulé en 1982 et un nouveau montage sera effectué pour une diffusion sur Canal +. De cette nouvelle version, Herbert.P Mathese écrit : « Le dernier quart d'heure de la version destinée à Canal + est fait d'extraits de La planque, plus clean, disons-le, et en couleurs, donnant davantage l'image d'un produit new-look, léché pour Canal. Rien à voir avec la version sortie au cinéma. ».

J'ai bien peur que la version DVD soit encore plus édulcorée que la version Canal puisque le métrage ne dure plus que 72 minutes (au lieu de 95 !) et le fameux dernier chapitre de cette Anthologie (« La pornographie ») se réduit à cinq minutes relativement soft ! Je ne connais pas parfaitement la législation en matière d'édition DVD mais je présume qu'il n'est pas possible pour un éditeur « classique » de proposer des films avec des scènes non simulées (à moins qu'elles s'inscrivent dans le cadre du cinéma « d'auteur »). Toujours est-il que le film que je possède pourrait sans difficulté être diffusé en prime time sur une chaîne du câble...

C'est dommage car l'Anthologie des scènes interdites est un projet réellement passionnant. Sur le papier, on craint la solution de paresse puisque Bénazéraf nous propose un pot-pourri des scènes érotiques dont il a émaillé ses films depuis ses débuts à l'orée des années 60. De plus, le cinéaste avait déjà eu recours à ce procédé de « compilation » en réalisant Bacchanales 69 puis Bacchanales 73 (sans doute le même film, sorti 4 ans plus tard). Il est d'ailleurs probable que le début de l'Anthologie reprenne le même montage que les Bacchanales puisque le critique de l'époque signalait une séquence au Palais des sports (des jeunes cassent des fauteuils) que l'on retrouve ici.  Et pourtant, l'intérêt ne faiblit jamais devant ce film de montage.



Le film se compose de cinq chapitres : Dans le premier, intitulé Le strip boulevard, Don José nous propose les scènes de strip-tease qui émaillent ses premières œuvres (dont celui de Joë Caligula qui lui valut une interdiction totale pendant près de deux ans). Le deuxième, les phantasmes, est divisé en deux paragraphes : le premier montre des extraits du Désirable et le sublime, le second des extraits de Frustration, du Sexe nu et de French love. Le quatrième s'intitule Le viol et nous offre un mémorable passage de French love (l'arrivée impromptue de motards dans une partouze bourgeoise). Quant au cinquième chapitre, La pornographie, je l'ai évoqué plus haut et il ne représente ici plus qu'une portion congrue.



Tous ces extraits sont commentés par Bénazéraf himself, relayé parfois par une voix féminine qui lit des extraits des décrets de censure qui frappèrent ses films. Du coup, l'Anthologie des scènes interdites apparaît comme un très beau résumé de l'évolution des mœurs dans le domaine cinématographique et de celle, parallèle, de la censure. Inutile de dire que le cinéaste s'en prend rageusement aux ciseaux d'Anastasie et il est vrai que le temps a fini par lui donner raison (qui s'offusquerait aujourd'hui du spectacle charmant de ces strip-teases rétros ?) En revisitant son œuvre, Bénazéraf cherche a montrer comment il a su retrancher la censure dans ses quartiers en filmant un certain nombre de « première fois » (par exemple, il montre un extrait de l'un de ses films -le cri de la chair ?-  où, pour la première fois, une femme se caresse lascivement la poitrine).

Outre l'érotisme brûlant, l'anthologie est également un bon moyen de redécouvrir ce qui fonde le cinéma de Bénazéraf : son intellectualisme outré (on ne compte plus le nombre de citations littéraires qui émaillent ces extraits, de Hegel à Marx en passant par Kierkegaard et Baudelaire), sa manière de mêler le « cul et la politique » (extraits savoureux du Désirable et le sublime où les acteurs conspuent la censure), son lyrisme qui éclate le temps de séquences vraiment très belles.

C'est peut-être ici que se situe, pour moi, la réelle découverte de cette Anthologie. Même si j'ai eu l'occasion de voir Frustration et Le désirable et le sublime, les films de Bénazéraf restent des raretés et je n'ai jamais vu, par exemple, Le sexe nu ou French love. Or les extraits proposés ici sont d'un érotisme tel qu'on l'a rarement vu à l'écran. Ces films restent « softs » mais ils n'ont strictement rien à voir avec les navetons érotiques qui fleurissaient à cette époque (que ce soit ceux de Georges Fleury ou Pierre Unia). La scène ferroviaire du Sexe nu est très tendre, très bien filmée et ne parlons pas de la stupéfiante partouze de French love où débarquent les motards. Bénazéraf filme admirablement les corps et par la grâce des éclairages, d'un montage inventif, il nous offre une séquence baroque incroyablement sensuelle.


On sait qu'après 1975 et JB 1, Bénazéraf deviendra un stakhanoviste du hard miteux (je n'en ai vu aucun mais je fais confiance aux connaisseurs). Avant, il ne se pose pas encore la question du hard ou du soft : il fait du cinéma. Avant le déferlement « officiel » de la pornographie à l'écran, certains de ses films (Black love, Adolescente pervertie : pas vus non plus) comportaient quelques séquences hard (parfois pour l'exportation).

L'anthologie témoigne de cette époque où le sexe restait encore un enjeu de mise en scène et où le cinéma pouvait friser les limites du représentable avec beaucoup de talent.

C'est ce qui fait la force de ce film, même s'il n'existe plus aujourd'hui que dans une version tronquée...

Fin de la semaine Bénazéraf : pour des renseignements sur les autres DVD édités, c'est ici...

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