Lan Yu (2001) de Stanley Kwan

 

J’ai quelques scrupules à vous parler tièdement de ce film car j’ai pu le découvrir grâce à la générosité de Bernard (encore merci !), éditeur émérite de ce DVD qu’il a bien voulu m’envoyer. Scrupules décuplés par le fait que, sans fausse flagornerie, le travail d’édition est remarquable et offre au cinéphile curieux près de 3h 30 (!!) de boni divers (aux traditionnels making-of et interviews s’ajoutent des biofilmographies très complètes et une émission de France-culture consacrée à l’homosexualité en Chine).

Mais c’est le jeu et j’espère que mon voisin ne m’en voudra pas : je n’ai guère été touché par Lan Yu, film sans doute très personnel pour Stanley Kwan (je n’avais jusqu’à présent vu aucun de ses films et j’aimerais beaucoup découvrir Rouge ou Center stage) puisque qu’après avoir révélé publiquement et courageusement son homosexualité dans un pays où elle reste taboue, il a mis en image ce récit nourri de ses expériences personnelles (un de ses compagnons l’a quitté pour se marier et avoir des enfants…)

Pour résumer schématiquement l’œuvre, on pourrait presque dire qu’il s’agit d’un Secret de Brokeback mountain transposé à Pékin. Un homme d’affaire achète un jeune étudiant pour se l’envoyer le temps d’une nuit mais de cette rencontre va naître une passion dévorante entre les deux hommes…

Comme le film de Ang Lee, Stanley Kwan procède par ellipses et accompagne cette relation trouble sur la durée, à tel point qu’on a du mal à identifier les époques auxquelles le film est censé se dérouler (les évènements de Tienanmen nous offrent une piste tandis que les portables utilisés par les personnages à la fin du film laissent présager qu’il se déroule à une époque contemporaine…). De la même manière, cette passion amoureuse sera entravée par le poids d’une société encore incapable de reconnaître les amours d’un homme d’affaires et de son giton. Les deux amants suivront chacun leur voie tout en se retrouvant de temps à autre…

Bienheureusement, le film n’est pas un réquisitoire adoptant un ton pleurnichard et victimaire : comme dans le secret de Brokeback mountain, il s’agit d’une histoire d’amour et un point c’est tout.  Cet aspect est à mettre au crédit d’un film qui montre très bien comment les préjugés sont eux-mêmes intégrés par ceux qui en sont les victimes (c’est l’affairiste qui décide soudainement qu’il doit se marier).

Maintenant, si je n’ai pas entièrement adhéré à Lan Yu, c’est sans doute parce que très pragmatiquement, cette histoire ne me touche pas. Sans doute suis-je trop « hétérosexuel » (ça me fait bizarre de l’écrire ainsi, comme si c’était devenu une tare !) mais rien ne m’émeut ni ne me touche dans cette passion amoureuse. Sans doute retrouvons-nous là ce problème d’identification dont je parlais à propos de Happy together, le film que j’aime le moins de Wong Kar-Wai parce qu’il ne me « parle » pas.

Oui, je pense que certains films vous parlent tandis que d’autrew non, indépendamment de leurs qualités (Happy together est un film superbement mis en scène). Lan Yu relève de la deuxième catégorie.

Plus précisément, j’ai aussi un problème avec sa mise en scène. Elle n’est pas sans qualités et on sait gré au cinéaste d’avoir choisi des partis pris intéressants pour filmer cette relation amoureuse. Par exemple, il filme souvent ses personnages dans l’embrasure d’une porte, derrière des vitres et choisit presque systématiquement de s’éloigner lorsque ça devient trop « intime ». Cette volonté « d’éloignement » est un vrai choix de mise en scène qui préserve le film du larmoyant ou de l’obscène.

Par contre, je suis moins convaincu par quelques coquetteries qui me paraissent inutiles : plans trop ostensiblement léchés, recours à des éclairages vifs et un brin esthétisants (on songe parfois à Beineix). Il y a parfois une volonté de joliesse qui empêche le film d’être plus rêche, plus râpeux et cela le dessert.

J’ai horreur de faire ce type de distinctions mais il me semble que ce film touchera d’abord mes lecteurs homosexuels car il traite son sujet avec une indéniable délicatesse et un tact pudique qu’il faut louer. Mais les autres resteront sans doute un peu à l’extérieur de cette chronique amoureuse finalement un peu lisse…

 

NB : Rien à voir. J’ai entamé un nouveau et immense chantier qui consiste à déterminer ce que serait, pour vous et moi, la « bibliothèque » idéale. Je vous invite donc à vous rendre dans ma cave pour en savoir plus et participer à ce projet…

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