Amour libre
La motocyclette (1968) de Jack Cardiff avec Marianne Faithfull, Alain Delon (Editions Artus Films) Sortie en DVD le 3 juillet 2013
Amusante coïncidence : je découvre La motocyclette de Jack Cardiff après avoir revu Belle de jour de Buñuel, deux films qui peuvent indéniablement dialoguer entre eux au-delà de leurs évidentes différences. Dans les deux cas, le récit met en scène une jeune femme mariée qui s'ennuie dans le carcan des conventions bourgeoises et qui cherche à s'en libérer. Séverine, chez Buñuel, choisit de vivre ses fantasmes en se prostituant tandis que Rebecca (Marianne Faithfull) retrouve son amant Daniel (Alain Delon) en chevauchant sa Harley Davidson. Chez ces deux femmes, on retrouve un fond de masochisme et une prépondérance des fantasmes sur la vie « réelle ».
Autre similitude, même si elle est plus lointaine : le surréalisme. Tandis que Buñuel a fait partie du mouvement, Jack Cardiff adapte Pieyre de Mandiargues, un écrivain proche de cette mouvance. Il s'agit d'ailleurs de la première adaptation cinématographique d'un auteur qui fera ensuite le bonheur de Walerian Borowczyk (Contes immoraux, La marge, Les héroïnes du mal, Cérémonie d'amour).
Si le récit est d'une confondante simplicité (une jeune femme, lassée de sa vie d'épouse d'un petit professeur de province, part rejoindre son amant), la construction dramatique en flash-back est plus complexe d'autant que Cardiff mêle aux souvenirs les rêves et projections fantasmatiques de son héroïne. Outre le caractère transgressif de l'intrigue (le refus d'une vie rangée et conventionnelle), La motocyclette apparaît aujourd'hui comme un film totalement en phase avec son époque (1968) puisqu'on y ressent très fort l'appel de la route et un désir d'émancipation. Cardiff cherche à explorer les arcanes du désir féminin et ses ambiguïtés : Rebecca a tout pour être heureuse avec un mari aimant et attentionné dont la situation lui assure une vie confortable. Mais paradoxalement, il est trop « gentil » (un flash-back nous montre son manque d'autorité face à sa classe) et cette bienveillance l'éloigne paradoxalement d'une jeune femme qui désire être dressée et domptée (voir la première séquence onirique qui se déroule dans un cirque). Auprès de Daniel (Alain Delon), Rebecca éprouve ce frisson d'être face à quelqu'un qui la tient à distance et auprès de qui rien n'est acquis. On songe au texte que Catherine Breillat avait écrit sur Baby doll et sur cette manière qu'ont les jeunes filles de préférer les hommes brutaux, qui ne les « respectent » pas aux garçons « gentils » et attentionnés.
Le plus intéressant dans La motocyclette, c'est bien évidemment la mise en scène de cette histoire. C'est le premier film que je vois de Jack Cardiff, cinéaste assez méconnu (son plus célèbre doit être Les drakkars) mais immense chef-opérateur puisque c'est à lui qu'on doit la photo de nombreux films de Powell et Pressburger (Le narcisse noir, Les chaussons rouges), d'Hitchcock (Les amants du Capricorne), de Mankiewicz (La comtesse aux pieds nus) et du sublime Pandora de Lewin. Grand coloriste, Cardiff pousse ici encore plus loin ses expérimentations en jouant sur des filtres colorés, des procédés de solarisation qui font que certaines séquences baignent littéralement dans le rouge, le rose et l'orange. Avec en bande sonore une musique très marquée par l'époque, nous tenons là un grand film psychédélique qui épouse les visions de son héroïne.
Porté de bout en bout par une Marianne Faithfull qui semble faire l'amour avec sa moto (le montage convulsif est très signifiant et même si le film reste très sage, la tenue de cuir qu'arbore l'héroïne – sans rien en dessous, évidemment- ouvre la porte en grand sur tous les fantasmes), La motocyclette s'avère être une belle surprise au rythme lancinant et envoûtant. Un film daté mais qui n'a pas trop vieilli. Une exploration lucide des fantasmes et des désirs féminin à une époque où amour libre et émancipation étaient les mots à l'ordre du jour (Rebecca regarde avec un certain dédain une mère de famille et tous ses rejetons avant de faire un éloge de la pilule).
Une œuvre méconnue, à découvrir de toute urgence selon la formule consacrée...