Chinatown
L'année du dragon (1985) de Michael Cimino avec Mickey Rourke. (Éditions Carlotta). Sortie le 9 mars 2016
Après la catastrophe industrielle de La Porte du paradis, Michael Cimino va devenir un cinéaste pestiféré à Hollywood et entamer une longue traversée du désert dont il n'est, à ce jour, pas sorti en dépit de l'indéniable réussite d'un film comme L'Année du dragon.
Rappelons l'argument du film : Stanley White (Mickey Rourke) est un flic intègre aux méthodes parfois expéditives. Après l'assassinat d'un ponte de Chinatown, White est chargé de mener l'enquête et de rétablir l'ordre dans un quartier où la guerre des gangs fait rage et où une nouvelle génération de gangsters cherche à prendre le pouvoir...
On le sait, Cimino est un grand cinéaste de l'Amérique, de ses rites et ses cérémonials. S'il s'intéresse à la communauté chinoise, c'est aussi sous cet angle comme le montre la séquence d'ouverture qui intervient pendant les fêtes du nouvel an troublées par des meurtres violents. Ces réjouissances sont filmées comme les manifestations collectives de La Porte du paradis et le fait que White soit un vétéran du Vietnam renvoie au Voyage au bout de l'enfer. Il y a d'ailleurs, dans L'Année du dragon, une scène assez similaire à celle de la « roulette russe » lorsque le nouveau « parrain » à Bangkok est chargé par les vendeurs de drogue de tuer un vieil homme sous les yeux de tous.
Ces réminiscences montrent à quel point ce film s'inscrit dans une thématique chère à Cimino : la naissance d'une Nation. Dans La Porte du paradis, il montrait à quel point ce mythe d'une Amérique unie était né dans la violence et le sang (celui des indiens). Ici, il interroge le « melting pot » américain et le communautarisme, ce qui lui valut l'accusation idiote de « racisme ». Idiote parce que cela revient à assimiler certains propos du personnage au discours du film qui est beaucoup plus profond et beaucoup plus ambigu que cette lecture idéologique simpliste (pléonasme).
Que le héros du film s'appelle White est, bien évidemment, emblématique. Non pas pour montrer une présumée suprématie de la race blanche américaine mais pour symboliser une certaine pureté d'un idéal perdu. White n'est d'ailleurs pas le véritable nom du capitaine, lui-même immigré d'origine polonaise. Mais en changeant son nom, il montre son désir de se fondre dans un idéal commun. Cela ne signifie pas que Cimino minimise le rôle et les cultures des communautés. Il est d'ailleurs souvent fait mention du rôle de la communauté chinoise dans l'élaboration de la Nation américaine et de sa contribution ignorée par les livres d'histoire à la construction des grandes voies de chemin de fer.
Ce n'est donc pas la communauté chinoise dans son ensemble qui est visée mais bel et bien la corruption mafieuse qui prospère lorsque la Loi ne s'applique plus. Mais cette corruption, elle est également du côté des élus de la ville et d'une police (blanche) complice.
Dans sa présentation du film, Jean-Baptiste Thoret a parfaitement raison de souligner que le cœur secret du film se situe sans doute dans ce moment où White est en butte avec ses supérieurs qui tentent de le dissuader de s'attaquer aux parrains de Chinatown et qui persistent à nier l'existence des triades. La capitaine a, au cours de cet entretien, une sorte d'absence et regarde par la fenêtre où il voit flotter le drapeau américain.
Tout est dit dans ce court moment sur l'opposition entre un idéal rêvé d'une nation qui engloberait toutes les communautés et la corruption qui gangrène cet idéal. Cette corruption ne vient pas des communautés à proprement parler mais du fric, de la prévarication, des petits arrangements entre ceux qui tirent les ficelles du pouvoir.
L'autre intérêt de L'Année du dragon vient, bien entendu, du fait que son héros, en dépit de son patronyme, n'est pas tout « blanc ». Mickey Rourke incarne ici avec beaucoup de talent un flic ambigu qui marche sans arrêt sur le fil du rasoir. Si l'idéal qui le meut peut paraître noble, il a recours à des méthodes qui mettent en danger son entourage : sa femme, sa maîtresse, une splendide journaliste chinoise, ses collaborateurs...
Si son désir d'assainir la corruption le place d'emblée du bon côté de la Loi, il franchit souvent les limites de la légalité. Cimino montre parfaitement l’ambiguïté de sa démarche : en cherchant à tout prix une pureté rêvée, le personnage n'en reste pas moins humain et se laisse gagner par l'instinct de vengeance (notamment lorsque sa femme est tuée). Sa vision d'une Amérique pure n'est pas non plus exempte d'un certain racisme qui s'exprime à travers les dialogues (mais là encore, il ne faut pas confondre le personnage et le propos du film).
Cette ambiguïté du personnage fait le prix de L'Année du dragon dans la mesure où Cimino montre parfaitement que rien n'est tout blanc, rien n'est tout noir. Si la nation peut tendre vers un idéal « pur », elle est surtout constituée d'une somme d'individus aux intérêts divergents.
En plongeant au cœur d'un microcosme précis (Chinatown), Cimino parvient à travers un thriller brillant et captivant, à décortiquer les rouages de la démocratie américaine avec une rare acuité...