Fourre-tout

The Strangers (2016) de Na Hong-Jin avec Kwak Do-Won, Hwang Jeong-Min

Fourre-tout

Gros succès populaire en Corée, The Strangers est un film qui suscite des réactions très contrastées, entre ceux qui l’adulent et ceux qui le honnissent. Pour le dire d’une manière assez banale, c’est un film qui ne laisse pas indifférent. Comme souvent dans ce cas de figure, je me situe au juste milieu de ces deux positions, trouvant le film plein de défauts mais néanmoins intéressant.

The Strangers est un gros film fourre-tout qui a parfois des côtés un peu indigestes. Premier défaut, sa durée : 2h36, c’est évidemment beaucoup trop long et le cinéaste s’embourbe parfois dans de longs tunnels sans parvenir à toujours relancer l’intérêt du spectateur en dépit des rebondissements que réservent le récit. En mêlant enquête policière, mélodrame familial, comédie grotesque et effets horrifiques, Na Hong-Jin n’évite pas non plus une certaine enflure et un côté tapageur un peu pénible. Destiné au grand public coréen, il replonge également dans les heures sombres de l’histoire du pays pour proposer une fiction paranoïaque très antijaponaise qui peut étonner un spectateur occidental.

Pourtant, The Strangers n’est pas non plus un simple « blockbuster » horrifique à la sauce américaine et quelque chose intrigue et séduit dans ce film aux coupes franches étranges, notamment cette manière d’interrompre une scène pour révéler qu’elle n’était qu’un rêve tout en laissant supposer que certains événements ont quand même bien eu lieu. Fourre-tout disais-je, puisque le film débute par un flic maladroit et débonnaire qui enquête sur une série de meurtres mystérieux. Très vite, les soupçons se portent sur un vieil homme japonais qui a acquis la réputation d’être un fantôme. Na Hong-Jin mêle avec un certain brio différents registres (le comique, le mélodrame, l’horreur) et se coltine avec différentes mythologies du cinéma de genre : les morts-vivants à la Romero, le cannibalisme, les possessions diaboliques dans la lignée de L’Exorciste et de The Omen (avec la présence de corbeaux menaçants) et même les histoires de fantôme japonais.

De la même manière, le cinéaste procède à un étrange syncrétisme en mêlant des éléments venus du christianisme (la citation du début du film, la présence du diable, la trahison avant le chant du coq, la résurrection du Christ) et du chamanisme (une impressionnante, quoiqu’un peu longue, séquence en montage parallèle montrant un « combat » entre le chaman et le démon par transes interposées). Je ne suis pas un spécialiste de la culture coréenne mais il me semble que le pays se caractérise justement par cette juxtaposition des religions, entre l’influence d’un bouddhisme traditionnel et l’importance du christianisme qui est devenu la principale religion du pays. Ce bric-à-brac bariolé d’inspirations rend le film assez curieux et, par moment, assez passionnant.

Et s’il fallait trouver une dernière source d’inspiration, ça serait évidemment du côté de Bong Joon-Ho qu’il faudrait se pencher, notamment par les constantes ruptures de ton du film (son côté angoissant est souvent contrebalancé par le grotesque et le comique) et par ce personnage de flic naïf, couard et très banal qui rappelle celui de Memories of murder. Mais on songe également à The Host puisque le film repose essentiellement sur un rapport père/fille et une volonté d’un homme de tirer des griffes du Mal absolu son enfant. Bien sûr, The Strangers ne parvient pas à créer une figure mythique aussi impressionnante que le monstre qui hantait le fleuve Han mais certaines scènes restent assez impressionnantes (la possession de la petite, la pluie de papillons qui s’abat sur la voiture d’un chaman désemparé…)

Au bout du compte, The Strangers est un « film monstre », parfois proche d’un pudding indigeste mais souvent passionnant par ses ramifications, ses tentatives de syncrétisme (au sens large : à la fois religieux mais aussi dans ce désir d’amalgamer le plus de genres possibles), la densité de son récit.  

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