Bulle Ogier sur Radio Ark en ciel (1982) de Gérard Courant avec Bulle Ogier (Éditions de L’Harmattan)

Radiomaton

J’ignore quand Gérard Courant a eu l’idée de ses « carnets filmés » mais il est certain que le cinéaste a eu très tôt l’intuition qu’il fallait conserver précieusement ses archives et qu’elles constitueraient une part essentielle de son œuvre. Si je précise cela en guise d’introduction, c’est que les premiers « carnets filmés » du cinéaste précèdent ses débuts de réalisateur et sont donc sans images. C’est, par exemple, une simple bande-son de l’enregistrement de débats avec Philippe Garrel à Digne en 1975 qui composera l’essentiel de son premier « carnet ».

En 1982, Courant a déjà tourné plusieurs films et lancé sa célèbre série Cinématon.

Il exerce également le métier de critique et anime une émission à la radio (sur Radio Ark en ciel, une « radio libre » comme on disait à l’époque) consacrée au cinéma. Plusieurs de ces émissions donneront lieu à des « carnets filmés », notamment celle qui nous intéresse aujourd’hui avec la grande Bulle Ogier. Là encore, il s’agit donc d’une bande-son d’une heure (plages musicales -Pink Floyd- comprises) que Gérard Courant a illustrée par un patchwork de photos, d’affiches, de couvertures de magazines.

On l’aura compris, l’intérêt de ce « carnet filmé » est avant tout « historique » dans la mesure où il donne à écouter pendant une heure une immense comédienne qui est l’incarnation même d’un certain pan du cinéma né dans le sillage de Mai 68. Libérée des contraintes de « l’actualité » (Bulle Ogier n’est pas là pour défendre un film), la comédienne revient sur sa carrière, ses débuts au théâtre avec Marc O, sa rencontre –déterminante- avec Rivette puis évoque ses expériences avec Alain Tanner (La Salamandre fut le film qui la « lança » vraiment), Barbet Schroeder (quelques anecdotes savoureuses sur le tournage épique de La Vallée), Luis Buñuel , Marguerite Duras ainsi que la « bande allemande » qui l’adopta : Werner Schroeter, Rainer Werner Fassbinder, Daniel Schmid…

Comme intervieweur, Gérard Courant se contente de relancer la balle, de poser des questions très générales pour laisser son invitée parler en toute liberté. Sa méthode est assez caractéristique de son cinéma : parvenir à s’effacer totalement face aux gens qu’il filme ou qu’il interroge tout en étant omniprésent et en réalisant, en loucedé, son propre autoportrait. Parce que Bulle Ogier incarne une des icônes de sa génération, égérie d’un cinéma (la « post-nouvelle-vague ») libéré de tous les carcans en vigueur et qu’elle symbolise parfaitement un art à la première personne vers lequel Courant a toujours tendu.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si son émission s’appelait « radiomaton », une manière comme une autre de prolonger son Cinématon en faisant le portrait d’une personnalité incarnant à merveille toute une génération ou une certaine idée du cinéma (il recevra ses complices Joseph Morder, Téo Hernandez…). Au cours du carnet, on apprend d'ailleurs que le cinéaste avait reçu, la semaine précédente (en reste-t-il des traces ?) Carole Bouquet qui, comme par hasard, a également tourné avec Buñuel et Schroeter.

Loin de toute promotion, Bulle Ogier sur Radio Ark en ciel est un beau portrait d’une comédienne unique et un document « historique » absolument passionnant…

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