Super 8
Experimental films from the lowlands (1992-1999). Editions Re :voir. Sortie en DVD le 19 novembre 2016
Alors qu’il était encore étudiant aux Beaux-Arts, Karel Doing fonde en 1990 le studio één, sorte de laboratoire expérimental où de jeunes artistes vont pouvoir se regrouper, échanger et réaliser leurs œuvres. Rétrospectivement, ce mouvement d’avant-garde hollandais apparaît comme les derniers feux d’une certaine histoire du cinéma expérimental rattrapée alors par l’essor de la vidéo. En effet, ce qui caractérise les films du studio één est l’utilisation prédominante de la pellicule et du Super 8 en particulier (parfois le 16 mm).
Pour être tout à fait honnête, j’ignorais tout de ce courant expérimental néerlandais des années 90 et ce n’est pas sans une certaine appréhension que je me suis plongé dans ce recueil de films qu’éditent aujourd’hui les excellentes éditions Re :Voir.
Lichtjaren (1993) de Karel Doing m’a fait un peu craindre d’assister à une certaine resucée des « classiques » du cinéma expérimental. Non pas que le film soit mauvais, bien au contraire ; mais avec ses jeux lumineux abstraits et sa pellicule qui semble grattée, Karel Doing s’inscrit dans la lignée des Stan Brakhage ou Len Lye. Néanmoins, ces trous de lumière qui apparaissent de temps en temps (évoquant, toutes proportions gardées, la sublime ouverture du récent Under the skin) finissent par faire surgir des images figuratives (un corps masculin nu) et donnent finalement un aperçu de ce que seront les films compilés ici.
En effet, les films du studio één (du moins, ceux présents dans le DVD) ne sont jamais de purs jeux formels abstraits. Même lorsqu’ils parviennent à une certaine abstraction, ils partent toujours d’éléments concrets, figuratifs. Et si l’on devait les classer schématiquement selon les voies qu’ils empruntent, nous pourrions mettre d’un côté ceux qui s’intéressent aux questions de « structures » (formelles, « musicales »…) et, de l’autre, ceux qui partent du corps.
#2 de Joost Rekveld est sans doute le plus réussi de ces films de « structures » dans la mesure où il part d’éléments concrets et naturels (l’eau, le ciel…) que le cinéaste scrute en accordant une place primordiale aux variations lumineuses (les reflets du soleil dans la mer, comme dans A propos de la Grèce de Gérard Courant). Ces jeux chromatiques finissent par dessiner la structure quasi musicale de l’œuvre avec des images qui reviennent de manière récurrente (des oiseaux dans le ciel, comme dans le récent Lacrau), séparées par des écrans noirs ou monochromes (rouges, oranges). Ce va-et-vient de la figuration à l’abstraction et vice-versa (ce monochrome bleu qui se révèle, au bout d’un moment, être une image du ciel) fait tout l’intérêt de ce #2.
Plus languissant est Departure on arrival de Barbara Meter, le film le plus long du lot (22 minutes). S’appuyant là aussi sur des éléments concrets (des lieux, des silhouettes, des photos…), la cinéaste semble vouloir rendre compte de l’épaisseur du temps et de ses méandres. Malheureusement, le spectateur le trouve un peu long, en dépit de quelques fragments très beaux. Peut-être faut-il le regarder de manière isolée pour pleinement l’apprécier.
Plus concret, Energy energy (1999) de Karel Doing s’inscrit dans la lignée d’un cinéma formaliste à la Dziga Vertov. Le montage, inspiré, confronte des plans sur un certain nombre d’inventions techniques (l’avion, le train, la machine…) et parvient à donner le sentiment d’une grande force tellurique. Etonnant comme ce film qui n’a qu’une quinzaine d’années paraît daté (ce n’est pas un reproche !) dans la mesure où la technologie actuelle s’est développée du côté du numérique, de la dématérialisation, du virtuel…
Ces films de « structure » peuvent quasiment devenir narratifs (même si le mot est sans doute trop fort). C’est le cas, par exemple, de Don’t move (1996) de Marc Geerards, adaptation très particulière (et un peu pénible) du Malone meurt de Beckett, construite sur des images récurrentes et une voix-off envahissante.
Steen (1995) de Joost van Veen et Roel der Maaden s’avère plus réussi, explorant divers lieux pour aboutir à des visions de ruines qui ne racontent pas à proprement parler une « histoire » mais qui peuvent apparaître comme une sorte de rêve contenant les bribes d’un romanesque possible.
Même s’ils peuvent, à leur manière, chercher à travailler sur les structures, certains films mettent avant tout l’accent sur le corps. Car il est possible de raconter beaucoup de choses en se focalisant sur certains détails de l’anatomie. Ainsi, Luk Sponselee filme, dans Voeten (1992), deux paires de pieds en très gros plans avec un son amplifié. Ces pieds semblent se diriger les uns vers les autres et pourraient figurer, pourquoi pas, une possible histoire d’amour. Dans De Hand (1993) de Frank Bruinsma, c’est le rapport aux autres et l’incommunicabilité qui sont interrogés. Armé de sa caméra, le cinéaste se concentre sur sa main tendue qu’il dirige vers des inconnus dans la rue. Certains l’évitent, d’autres s’en emparent pour la serrer. Ca ne dure que deux minutes mais ça dit, mine de rien, pas mal de choses sur les rapports humains. Pour Bruinsma, la caméra est d’ailleurs une véritable excroissance de son propre corps, comme le prouve aussi Herts (1996) et son image granuleuse et sautant : elle épouse les soubresauts de la machine à paver qu’elle filme.
Dans Performance (1995), Anet van de Elzen se livre à une série d’actions devant sa caméra, de la plus simple (monter et descendre d’un escabeau) jusqu’à la plus spectaculaire (se couvrir entièrement la tête d’une sorte de terre glaise). Ces performances, qui se veulent archétypales, m’ont fait songer à divers pans de l’histoire du cinéma (mais peut-être que je suis complètement à côté de la plaque !) : l’artiste qui pose en ombre chinoise avec une pipe à la bouche m’a fait penser à Hitchcock tandis que sa manière d’envoyer en l’air des plumes m’a rappelé Zéro de conduite. Le visage peinturluré pourrait être celui de Belmondo dans Pierrot le fou tandis que sa manière de se rouler sur le sol dans une couverture renvoie des souvenirs de Mouchette.
Le plus original du lot est peut-être Haar (1992) de Ania Rachmat qui travaille avant tout lamétonymie entre une belle chevelure de geais, des arbres et un feu d’artifice. En partant d’un élément concret (ses propres cheveux), la cinéaste parvient à créer un ballet formel aussi beau que fascinant.
Au bout du compte, ce recueil de films expérimentaux se révèle assez passionnant, comme une sorte de codicille à l’histoire d’une pellicule en voie de disparition.