Sully (2016) de Clint Eastwood avec Tom Hanks

Le rédempteur

En retraçant le parcours héroïque d’un pilote d’avion ayant sauvé 155 passagers en amerrissant en catastrophe dans l’Hudson après une panne de moteurs, Clint Eastwood poursuit son édification du roman national américain. Mais comme dans American sniper, il semble aussi vouloir s’interroger sur la notion même d’héroïsme : est-ce qu’en choisissant l’option de se poser sur l’eau, le capitaine Sully n’a pas mis en danger l’équipage alors qu’il aurait pu, selon les experts, rejoindre une piste d’atterrissage ?

Honnêtement, c’est ici que le bât blesse dans la mesure où Eastwood prend immédiatement parti pour le capitaine contre les experts de tout poil, les administratifs et les ingénieurs. Dans un discours qui passera surement à la postérité, Sully (joué sobrement par Tom Hanks) met sur le tapis une notion essentielle : celle du facteur humain, irréductible à toutes les données informatiques et technologiques présentées par les experts. Difficile de ne pas être d’accord avec ce point de vue mais, du coup, à l’inverse d’American Sniper qui jouait de manière très habile sur l’ambiguïté de son personnage (à la fois « héros » national mais tueur impitoyable), Clint Eastwood n’a plus qu’à faire l’apologie de son héros qui devient même une sorte de saint. En effet, le film est hanté par le traumatisme du 11 septembre et la première scène, onirique, montre un avion qui s’écrase dans un immeuble.

En ayant pu éviter une nouvelle collision d’un avion dans des buildings, Sully acquiert le rôle de rédempteur, celui qui incarne une Amérique toujours debout face aux menaces et qui sait mobiliser tous ses talents (les secouristes, le personnel de bord, tous ceux qui se sont mobilisés pour récupérer les naufragés…) pour renaître de ses cendres. Pourquoi pas ? On sait qu’il s’agit d’une tradition très américaine (voir l’œuvre de John Ford) mais il m’a semblé que ce personnage manquait un peu de profondeur et que les dés étaient pipés d’emblée : en aucun cas Eastwood interroge cet « héroïsme » et son seul but est de réaliser une œuvre édifiante.

D’ailleurs, il n’hésite pas à recourir parfois à des ficelles un peu grossières pour conquérir le spectateur : situations mélodramatiques un peu faciles (si le capitaine n’est pas sauvé par sa hiérarchie, il est menacé de ruine), corde lacrymale de rigueur lors de scènes « familiales » pas très heureuses et opposition binaire entre le peuple et « les experts »…  Un des gros défauts d’Eastwood, c’est qu’il se targue d’une certaine ambigüité mais qu’elle me paraît parfois bien factice. L’exemple type, c’est Gran Torino et sa manière de montrer un personnage d’abord tout noir (raciste, atrabilaire…) qui devient ensuite tout blanc. Ce passage d’un état à un autre se fait sans la moindre nuance. Dans Sully, même si Eastwood voudrait nous faire croire que le pilote a commis une erreur, on n’y croit pas un instant et son personnage restera « blanc » de la première à la dernière minute du récit.

En dépit de ces réserves, le film est loin d’être mauvais. Moins ambigu et donc moins intéressant par certains aspects qu’American Sniper, il est néanmoins beaucoup mieux construit que ce dernier d’un point de vue narratif et témoigne de la (toujours) grande maîtrise du cinéaste. Si la première partie du film ne m’a pas semblé époustouflante au niveau de la mise en scène (beaucoup de champs/contrechamps, l’utilisation de longues focales comme dans 95% de la production actuelle…), la reconstitution de la catastrophe aérienne est époustouflante. Par la précision du découpage et la sécheresse du montage, Eastwood en remontre à tous les faiseurs de blockbusters boursouflés adeptes de la bouillie visuelle et de la caméra atteinte de la maladie de Parkinson. Son classicisme est ici souverain et rend une grosse partie de l’œuvre tout à fait haletante.

C’est lorsque le cinéaste s’attarde aux gestes quotidiens et précis des « professionnels » qu’il est le meilleur, laissant éclater sa conception très américaine de l’humanisme (la solidarité de tous envers la nation et la foi en des hommes providentiels et héroïques). Il y a une émotion simple et directe qui gagne le spectateur lorsque les secouristes font leur boulot et se démènent pour éviter la moindre perte. Dans ces moments, Eastwood évite le pathos qui pointe le bout de son nez lorsque le personnage est mis en accusation ou, du moins, soupçonné d’avoir commis des imprudences.

Cette volonté, ensuite, d’ériger un piédestal à un saint laïc finit par desservir le projet, lui enlever une part de sa dimension « humaine ». Entre le simple secouriste et le héros, Eastwood a fini par choisir et c’est un peu dommage parce que pendant un moment, il les a fait cohabiter et c’était très beau…

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