Psychoecho (2006-2014) de Sandy Ding. (Éditions Re : Voir) Sortie en DVD le 28 novembre 2016

Transes

Pour le cinéphile de province qui s’intéresse au cinéma expérimental, il est désormais très difficile de se tenir au courant et de rester au fait des cinéastes importants aujourd’hui. D’une part, parce que ces films ne sont diffusés nulle part et même si, éventuellement, on peut les retrouver sur Internet, je ne connais quasiment plus de revues qui effectueraient un nécessaire travail de prescription pour s’y retrouver dans cette jungle aux frontières du cinéma, de l’art vidéo et de l’art conceptuel. Pour prendre un exemple précis, j’ai encore le souvenir d’un critique qui avouait sans honte, au moment de la disparition du cinéaste, qu’il n’avait jamais entendu parler de Stephen Dwoskin !

Louons donc les éditions Re :Voir qui permettent aux amateurs curieux d’étancher leur soif de découverte. Pour ma part, je n’avais jamais entendu parler de Sandy Ding, jeune artiste chinois, mais c’est avec plaisir que j’ai découvert son travail d’autant plus qu’à l’heure où le numérique semble avoir tout balayé, le cinéaste persiste à tourner en pellicule (16 mm mais aussi en 35).

Pas facile néanmoins d’avoir une vision globale d’une œuvre et de l’interpréter lorsqu’on l’aborde en parfait néophyte. Mais entre les figures assez traditionnelles du cinéma expérimental (l'abstraction, le support qui devient l’objet même du film, la détérioration de la pellicule), on perçoit chez Sandy Ding une volonté de rester arrimé, malgré tout, au Réel. La plupart de ses films, après nous avoir plongés dans un chaos abstrait, se terminent souvent par une sorte d’épiphanie où le Réel refait surface et semble annoncer une sorte de renaissance.

Transes

A ce titre, The Radio Wave Beneath the Dirt ice and Flowers (2006) n’est sans doute pas le meilleur film du lot mais il me semble représenter la quintessence du travail de l’artiste. Nous y voyons une radio d’un squelette humain et c’est cette image que le cinéaste va triturer à l’envi, en faisant subir différentes altérations à la pellicule à l’aide de glace, de saletés, de divers liquides… Quelque chose se joue entre une certaine idée de l’humanité (le squelette) et une manière de le réduire à sa seule dimension « organique ». Au départ, on se dit que Sandy Ding ne fait que répéter sous une autre forme les expérimentations des ainés (Brakhage en premier lieu, notamment celui de Mothlight). Et pourtant, les plans finals permettent de transfigurer le film dans la mesure où le squelette semble, soudainement, se mettre à danser. J’y ai vu alors ce que Sandy Ding semble rechercher dans toutes ses œuvres : créer chez le spectateur un état proche de la transe.

Dream Enclosure  (2011-2014) joue beaucoup sur cet aspect, notamment grâce à une bande-son très travaillée et assez « aride » (un mélange entre de la techno bruitiste et la musique industrielle) et des images décomposées, répétées, triturées comme s’il s’agissait des « sample » d’un D.J.  Ce travail sur des sortes de « boucles » à partir d’images concrètes (un lézard en gros plan, une jeune femme…) parvient à créer un rythme assez envoûtant et une sorte de « transe » qui peut irriter comme elle peut fasciner.

Mais c’est sans doute dans Water Spell (2006-2007), le gros morceau du DVD (42 minutes quand même !) que s’exprime le mieux la vision de Sandy Ding. Le film est composé de trois parties inégales. Dans la première, le cinéaste se concentre sur des étendues d’eau, les reflets du soleil sur cette surface mouvante tandis que d’étranges rayons fluorescents viennent strier l’image. Il y a quelque chose de la quiétude ( ?) originelle qui se dégage de ces images tandis que ces rayons lumineux pourraient symboliser « l’esprit ». Pour le cinéaste, cette partie invite à la méditation du spectateur tandis que la seconde le plonge dans un chaos indescriptible, fait de formes abstraites, de clignotements incessants et de défilements lumineux. Toute cette deuxième partie cherche à plonger le spectateur dans cet état de transe qui semble motiver Sandy Ding. Mais cette plongée dans un espace/temps inconnu où les tâches solaires semblent voisiner avec un saut dans un univers informe finit par déboucher, dans une troisième partie, sur une possible « renaissance » avec les images apaisées d’un petit garçon souriant.

Transes

Chez le cinéaste cohabite un côté très « organique », avec une inscription dans des lieux qui pourraient symboliser l’origine de notre monde : la forêt profonde de Mancoon (2007) qui rappelle au cinéphile des réminiscences de films, que ce soit Lacrau de Joao Vladimiro, Sombre de Grandrieux ou encore Tropical malady de Weerasethakul ; et une dimension très abstraite, une volonté de créer des états de transe assez proches de ceux que peuvent procurer la musique techno. Les éclats lumineux qui parsèment ses films peuvent également évoquer l'ouverture étrange et envoûtante de Under the skin, autre grand film "cosmique" de ces dernières années.

Que ça soit dans les feuillages de Mancoon ou l’univers coloré de Prisms (2012), Sandy Ding nous propose des invitations au voyage que l’on pourra interpréter de multiples façons (je pense d’ailleurs, après avoir tenté de déchiffrer ses propos, qu’il y a un certain « mysticisme » dans sa démarche). Invitations qui pourront déconcerter, sans doute, mais qui fascinent souvent à partir du moment où l’on reste ouvert à un cinéma « différent »…

Retour à l'accueil