La comtesse
Cérémonie sanglante (1973) de Jorge Grau avec Lucia Bosé (Editions Artus films)
C’est peu dire que sous le régime franquiste de sinistre mémoire, la censure gouvernementale fut assez vétilleuse quant aux propos politiques et religieux que pouvaient distiller les films. Pourtant, de manière un peu paradoxale, les tristes sbires du caudillo furent plus indulgents envers les cinéastes lorsqu’ils se piquèrent d’emprunter les sentiers du « cinéma de genre ». C’est ainsi que se développa au début des années 70 un véritable cinéma fantastique espagnol où s’illustrèrent Paul Naschy, Amando de Ossorio (et sa fameuse tétralogie des templiers) ou encore un franc-tireur comme Vicente Aranda (l’excellent La Mariée sanglante). Jorge Grau fait partie de ces petits maîtres que les éditions Artus nous permirent de redécouvrir grâce à l’édition du Massacre des morts-vivants, une fable horrifique mêlant préoccupations écologistes et zombis belliqueux.
Cérémonie sanglante entremêle deux mythes avec une certaine habileté. D’un côté, le mythe du vampire avec un Helsing qui se rend dans une petite bourgade où un homme a été condamné après avoir été accusé de vampirisme. De l’autre, une comtesse descendante de la célèbre Erzebeth Bathory cherche à découvrir le secret de la jeunesse éternelle. Comme sa mythique ancêtre, elle fera tuer de jeunes vierges pour se baigner dans leur sang…
L’articulation entre les deux n’est pas toujours très habile mais qu’importe : dans ce genre de film, c’est l’atmosphère qui prime et Grau se montre assez doué pour les ambiances troubles et inquiétantes. Le film s’ouvre, par exemple, sur une très belle procession avec torches éclairant les rues du village et un condamné attaché nu sur son cheval. Il faudrait aussi citer le château et ses lourdes tentures rouges ou encore ce sang qui coule directement du plafond dans la baignoire de la comtesse incarnée par la grande Lucia Bosé (Mort d’un cycliste, Chronique d’un amour, Satyricon…).
Comme dans Le Massacre des morts-vivants, Grau ajoute une pincée de critique sociale, citant (improprement) Voltaire et estimant que les vampires ne sont pas les « morts » mais les vivants qui vivent au détriment des autres (les spéculateurs, usuriers…). Le plus monstrueux ne sont pas ces créatures diaboliques (Bathory, vampires…) mais ce qu’elles symbolisent : une classe dominante décadente se nourrissant du sang et de la chair du peuple asservi (en cette fin de règne franquiste, la métaphore prend tout son sens).
La mise en scène est soignée, parfois un poil trop timide (mais Artus a le bon goût de nous proposer, en supplément, les versions « déshabillées » de certaines scènes qui, à l’époque, étaient réservées pour l’export) mais le spectateur suit ces péripéties sans le moindre ennui.
Entre hommage sincère aux grands canons du genre (le film est marqué par l’esthétique Hammer) et volonté d’arpenter les territoires de l’imaginaire dans une Espagne étouffée par le régime politique, Cérémonie sanglante se révèle être une jolie petite réussite et une curiosité à découvrir.
NB : Une fois de plus, le film est proposé dans un élégant coffret, accompagné d’un intéressant livret signé Didier –Médusa- Lefèvre. En bonus des galettes, une présentation de l’incontournable Alain Petit.