Les braqueurs
C’est pas parce qu’on a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule (1975) de Jacques Besnard avec Bernard Blier, Michel Serrault, Jean Lefebvre, Tsilla Chelton (L.C.J. Editions) Sortie en DVD et BR le 14 avril 2021
Sans être expert en titrologie, il me semble que c’est à Michel Audiard que l’on doit la vogue des titres à rallonge depuis son Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages en 1968. Généralement, ce type de désignation est un bon marqueur pour repérer les comédies franchouillardes les plus navrantes, qu’elles soient signées Max Pécas (Mieux vaut être riche et bien portant que fauché et mal foutu), Claude Mulot (Le jour se lève et les conneries commencent) ou Philippe Clair (Par où t’es rentré, on t’a pas vu sortir).
C’est pas parce qu’on a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule est d’ailleurs, à l’origine, une citation d’Audiard et ce titre un tantinet ringard dessert une œuvre qui se révèle, au bout du compte, une agréable surprise. En effet, je n’attendais pas grand-chose de Jacques Besnard, auteur de quelques nanars assez gratinés (Te marre pas…C’est pour rire ! avec Galabru et Aldo Maccione, Le Jour de gloire avec Jean Lefebvre et Pierre Tornade…) et d’un Louis de Funès assez médiocre dans mon vague souvenir (Le Grand Restaurant).
Ici, il met en scène deux petits truands minables, Max (Michel Serrault) et Riton (Jean Lefebvre) qui effectuent de basses besognes pour Phano (Bernard Blier). Un beau jour, ce dernier les convoque pour un gros coup : le cambriolage de la caisse de retraite de la SNCF. Pour atteindre le coffre, il s’agira de passer par les toilettes de la gare et de percer le mur attenant au magot sans éveiller les soupçons de la dame pipi de l’endroit (Tsilla Chelton).
Avec un tel postulat, on imagine volontiers les écueils auxquels aurait pu se heurter le cinéaste s’il s’était focalisé, comme n’importe quel politicard démagogue, sur des gags autour des bruits et des odeurs liés au décor du théâtre des opérations. Or si les gags sont nombreux, Besnard ne table pas sur les allusions au-dessous de la ceinture et son humour est beaucoup plus bon enfant que gras.
C’est pas parce qu’on a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule est une comédie loufoque qui n’a pas à rougir face aux meilleurs Lautner. Elle lorgne à la fois du côté d’Audiard avec quelques répliques cinglantes (« le jour où on mettra les cons dans un panier, tu seras pas sur le couvercle ») et un casting aux petits oignons. Si on excepte Jean Lefebvre qui est un comédien qui ne m’a jamais fait rire, Serrault est souvent irrésistible (notamment en Lord anglais face à un essuie-mains sali par son compère) et Bernard Blier est, comme toujours, impérial. Le trio fait souvent des merveilles, à l’image de cette scène désopilante où Blier fait répéter aux deux autres leur premier passage devant « madame pipi » (« Et voilà, la bérézina… Parler de soleil à une malheureuse qui passe ses journées dans la faïence et le déodorant ! »)
Mais l’intérêt du film, c’est qu’il ne se limite pas à une succession de bons mots. Jacques Besnard et son scénariste Jean Halain construisent habilement les situations et offrent aux trois personnages tout le loisir de défiler sous divers déguisements. Qu’il s’agisse de Jean Lefebvre en écossais, Bernard Blier en touriste allemand (avec short et énormes rouflaquettes) ou Serrault en hippie, ce cortège burlesque donne un côté carnavalesque au film tout à fait plaisant.
On notera que le film est tiré d’une idée de Thierry Lhermitte, Gérard Jugnot et Christian Clavier, quelques années avant qu’ils connaissent la célébrité avec Les Bronzés. Deux des comédiens apparaissent d’ailleurs dans le film : Jugnot en guichetier incontinent et Clavier dans un rôle de flic qui, avec des mimiques de minet, drague ostensiblement un Bernard Blier ahuri.
Alors certes, C’est pas parce qu’on a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule n’est pas du Lubitsch mais c’est une comédie plaisante et souvent amusante. Le critique de La Saison cinématographique 1975 écrivait : « Jacques Besnard manque un peu de souffle bien que sa mise en scène soit plus soignée aujourd’hui et son scénario moins brouillon. C’est de l’honnête comique, ni vulgaire, ni grotesque, avec quelques scènes plutôt bien réussies. »
Difficile d’aller contre ce constat et, dans le genre, ce film me semble supérieur aux comédies réalisées par Audiard.