Avoir vingt ans (1978) de Fernando Di Leo avec Gloria Guida, Lilli Carati, Vittorio Caprioli (Artus Films)

© Artus Films

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Après avoir découvert la « trilogie du milieu » de Fernando Di Leo il y a peu, les éditions Artus nous permettent aujourd’hui d’appréhender une nouvelle facette de ce cinéaste singulier et (relativement) méconnu. Avoir vingt ans fut, lors de sa sortie, vendu comme une « comédie sexy », genre très en vogue en cette fin des années 70 et offrant une vision très dévoyée de ce que fut la grande comédie « à l’italienne ». Pour entrer dans cette case, le film fut amputé et surtout remonté en dépit du bon sens ; montage que l’on pourra d’ailleurs visionner en supplément de l’œuvre véritable. Avec son quart d’heure de plus, la version voulue par Di Leo s’avère à la fois beaucoup plus équilibrée et, surtout, beaucoup plus sombre et désabusée. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le cinéaste débute son récit avec la fameuse citation de Paul Nizan : « J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie ».

Ce qui frappe dans Avoir vingt ans, c’est la manière dont Di Leo change de registres. Partant d’un postulat somme tout assez minimaliste (un groupe de jeunes gens se réveille au petit matin sur une plage. Lia et Tina font connaissance et décident de faire la route ensemble), il nous embarque au gré d’un récit plutôt lâche et d’une mise en scène chaloupée qui procède par juxtaposition de séquences dont la coloration s’assombrit au fur et à mesure.

Le film débute comme une sorte de Valseuses au féminin. Les deux filles aguichent les automobilistes pour faire du stop et Tina (Lilli Carati) déclare tout-de-go qu’elle « veut baiser ». Elle répète également à tout bout de champ qu’elle est « jeune, belle et en colère ». Une colère qui éclatera, par exemple, au début du film lorsqu’une grande bourgeoise se permet de leur faire la leçon et leur propose de l’argent pour dégager de la route. Lia et Tina sont les derniers avatars d’une jeunesse en rupture de ban telle qu’elle s’est épanouie à la fin des années 60 et qui refusent toute assignation. Comme les personnages de Blier, elles expérimentent la liberté (notamment sexuelle) et sont en constante rébellion contre l’ordre social. Les similitudes avec Les Valseuses ne sont peut-être pas voulues mais elles sont amusantes, notamment lorsque nos deux pétroleuses volent dans un supermarché en se jetant l’une l’autre le sac contenant le produit de leurs larcins. Elles sont prêtes également à toutes les provocations pour se faire payer une tasse de café ou pour gagner un paquet de clopes. Il est aussi amusant de noter que Blier a été parfois associé (pendant très peu de temps) à un courant éphémère qu’on appela jadis « le nouveau naturel » (où furent regroupés les premiers Séria, les premiers Doillon et les premiers Pascal Thomas). Or avec sa manière buissonnière de filmer ses héroïnes lors de leurs pérégrinations, Di Leo adopte cette optique désinvolte et naturelle. Les filles sont lancées dans la foule et on aperçoit plus d’une fois les badauds qui se retournent, estomaqués, sur leur passage.

Ce désir de liberté se retrouve ensuite lorsqu’elles décident de rejoindre une communauté tenue par le toujours irrésistible Vittorio Caprioli (Karpov dans Le Magnifique). Le propos de Di Leo se fait alors plus satirique. Lorsqu’on se souvient de la vision extrêmement caricaturale qu’il avait de la jeunesse hippie dans Le Boss, on pouvait s’attendre au pire. Or s’il ne manque pas de railler une communauté où une sorte de gourou irait jusqu’à prostituer ses ouailles pour gagner un peu d’argent, où les dortoirs sont des repères de drogués amorphes et ou les jeunes gens ignorent l’usage du savon et de la brosse depuis des semaines ; il conserve une certaine sympathie pour ses deux héroïnes qui refusent les règles du jeu social.

Un passage très intéressant du film est celui où une équipe de cinéma vient tourner au cœur de la communauté. Di Leo écorne un peu l’image du cinéaste avant-gardiste qui refuse de payer et qui s’offusque qu’on entrave son génie. Mais d’une certaine manière, il est lui aussi en train de tenter de prendre le pouls d’une jeunesse rebelle, entre le reflux des utopies et la gueule du bois des « années de plomb ». Pour son documentaire, le cinéaste demande à des filles de réciter de virulents extraits du SCUM Manifesto de Valérie Solanas tandis que s’ensuit une discussion sur Baader et Ulrike Meinhof. Tout se passe comme si, de la théorie à la pratique (poser des bombes), une jeunesse était en train de se brûler les ailes au profit d’un inquiétant retour à l’ordre.

Même si on s’amuse lorsque Tina va faire du gringue à un vieux professeur libidineux pour lui vendre des encyclopédies, il est évident que nous ne sommes plus simplement dans une comédie graveleuse un peu vulgaire. A l’insouciance du début succède des moments plus inquiétants comme cette descente de police qui marque le retour d’une certaine violence sociale qui éclatera abruptement dans le finale assez ahurissant du film. Di Leo, qui semblait avancer cahin-caha, a construit son film comme une sorte d’enfermement progressif où les filles sont constamment sous l’œil d’une autorité oppressive et masculine. D’abord de manière un peu rigolarde avec le gourou de la communauté ou ce curieux adepte de la méditation qui partage la chambre des deux filles. Puis celui de la police et enfin ceux de ce groupe d’hommes qui dansent de façon inquiétante autour des deux pétroleuses et entravent leurs mouvements.

On n’en dira pas plus pour ne pas révéler la fin mais si Di Leo a pu donner l’impression de railler une certaine radicalité féministe, il finit par épouser totalement leur cause et montrer comment cette « colère » sans arrêt vantée par Tina finit par être étouffée par une société encore très patriarcale. Certes, Avoir vingt ans relève du « cinéma d’exploitation » et l’on pourra juger quelques scènes moins réussies, un peu plus racoleuses puisque le cinéaste ne se prive pas de filmer sous toutes leurs coutures les deux bombes qui tiennent les rôles principaux et qui viennent d’ailleurs, toutes les deux, de la « sexy comédie » : d’un côté, la volcanique brune Lilli Carati (La Prof du bahut de Tarantini) qui sera l’une des muses de Joe D’Amato dans les années 80 (La Retape, La Femme pervertie…) ; de l’autre, la sublime et diaphane Gloria Guida qui tourna dans la saga des « lycéennes » (pour Tarantini ou Mariano Laurenti) et que l’on verra chez Dino Risi (Les Derniers Monstres).

Di Leo tire le meilleur des tempéraments opposés de ces deux filles et montre avec beaucoup de dépit un monde qui ne laissera pas une petite place à celles qui veulent jouir en toute indépendance de leur liberté et qui rêvaient d’un monde meilleur.  

Les pétroleuses
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