Le Village des damnés (1995) de John Carpenter avec Christopher Reeve, Kirstie Alley, Mark Hamill (Éléphant Films)

© Elephant Films

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La question du « remake » refait souvent surface dans les débats cinéphiles et nombreux sont ceux qui s’interrogent (j’en fais souvent partie) sur l’opportunité de refaire des films qui existent déjà. Quel intérêt pour un spectateur d’aujourd’hui d’avoir un nouveau Psychose, un nouveau Massacre à la tronçonneuse ou un nouveau Halloween ? Même si je suis un farouche détracteur d’un bon nombre de « remakes », il me semble que cette question est surtout mal formulée. D’une part, parce que même si le phénomène donne le sentiment d’être récent et qu’Hollywood (parce que ce sont essentiellement les américains qui s’y adonnent) semble avoir perdu toute capacité à inventer, il est loin d’être nouveau et beaucoup de films « classiques » sont déjà des remakes, que l’on songe aux chefs-d’œuvre de Sirk Mirage de la vie ou Le Secret magnifique (relectures de deux films de John Stahl), au Ben-Hur de Wyler (remake d’un film muet) ou même aux cinéastes qui refirent leurs propres films, qu’il s’agisse de Leo McCarey (Elle et lui) ou Hitchcock (L’homme qui en savait trop). D’autre part, les remakes peuvent permettre de confronter une histoire déjà connue à une nouvelle époque. Je pense d’ailleurs que c’est ce qui m’a généralement déçu dans les nouvelles versions des classiques du cinéma horrifique des années 70 : le côté extrêmement aseptisé et lisse que ces œuvres revêtissent désormais alors que les originaux étaient dérangeants, rugueux et subversifs. C’est donc moins l’idée du « remake » qui est à déplorer que la teneur d’une époque (la nôtre) sans doute beaucoup plus frileuse.

Avant de reprendre Le Village des damnés, Carpenter avait déjà réalisé, avec The Thing, un remake de La Chose d’un autre monde de Hawks et Nyby. Et un film comme Assaut était également une reprise des motifs de Rio Bravo. En s’attaquant ici à un classique de l’épouvante britannique des années 60, le cinéaste parvient à éliminer les éléments datés de l’œuvre originale (où les enfants « nouveaux » représentaient clairement les dangers du communisme et d’un totalitarisme formatant les corps et les âmes) tout en parvenant à tirer ce récit vers une thématique qui lui est chère : l’irruption du Mal au cœur d’une petite communauté humaine.

On se souvient du point de départ de l’œuvre : un nuage radioactif qui passe au-dessus d’une petite bourgade et provoque l’évanouissement de tous les habitants. Le phénomène mystérieux passé, les femmes du village tombent toutes enceintes, y compris la jeune fille vierge et celle dont le compagnon était absent depuis longtemps. Naissent alors d’étranges enfants aux cheveux blonds (voire blancs), supérieurement intelligents mais incapables de la moindre émotion.

Comme dans Fog, c’est donc d’un étrange nuage que vient le danger. Si l’hypothèse d’une colonisation extra-terrestre est avancée, cette explication importe au fond moins que l’hypothèse d’un Mal qui peut soudain mettre en péril la communauté, qu’il s’agisse des spectres déjà cités de Fog, de Michael Myers dans Halloween ou du diable dans Prince des ténèbres. On retrouve d’ailleurs des scènes similaires où toute la communauté villageoise se retrouve dans une église ou une salle commune pour évoquer son destin : garder ou non les mystérieux bébés qui s’apprêtent à naître ? Comment se débarrasser de ces dangereux enfants ?

Que le Mal s’incarne ici dans des êtres supposément « innocents » (des enfants) rend le film encore plus troublant. Avec leurs visages durs et leurs yeux phosphorescents, la petite troupe peut lire dans les pensées des habitants et les faire agir contre leur volonté. Dans le film de Wolf Rilla, il s’agissait de dénoncer une propagande communiste qui allait empoisonner les esprits des nouvelles générations. Pour Carpenter, il s’agit davantage de voir comment l’arrivée d’éléments extérieurs mettent en danger la cohérence de la communauté. Stéphane du Mesnildot évoque très bien, en supplément du disque, cette question du déséquilibre que ces enfants apportent. Et le seul avec qui le docteur (Christopher Reeve) peut nouer un lien, c’est le petit David qui a perdu son binôme à la naissance.  Par cette absence, lui-même se trouve en déséquilibre par rapport à son groupe et fait l’expérience la plus humaine qui soit : celle du deuil. L’une des plus belles scènes du film est celle où David cherche à retrouver la tombe de sa compagne mort-née et où il rencontre Alan en train de se recueillir sur celle de son épouse. Par cette expérience du deuil, l’enfant peut apprendre l’empathie, la compassion et s’humaniser.

Construit sur cette opposition entre la figure du Mal et une volonté de sauver ce qui constitue une certaine idée de l’humanité, Le Village des damnés s’inscrit parfaitement dans la continuité de l’œuvre du cinéaste. Le résultat n’est sans doute pas à la hauteur des grands Carpenter, peut-être parce qu’il peine à faire exister certains personnages (le docteur Susan Verner, par exemple, que je ne trouve pas très convaincante). Reste le bloc glaçant que constitue ces enfants sans émotion, image d’une humanité menacée dans sa nature même par une sorte de Mal abstrait et inquiétant.

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