Pigalle (1994) de Karim Dridi avec Véra Briole, Francis Renaud

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Même si je n’en conserve pas un souvenir transcendant, j’avais trouvé très intéressant Bye-bye, le second métrage de Karim Dridi. Nous étions alors au milieu des années 90, au moment où s’affirmait une génération de cinéastes très influencés par Pialat et offrant au néo-naturalisme à la française une nouvelle vigueur.

Auparavant, il avait signé Pigalle, film hybride sur le célèbre quartier parisien naviguant entre la chronique réaliste, le tableau folklorique et le film noir. Mais pour être tout à fait franc, l’hybridation ne prend pas totalement et le résultat s’avère vite assez bâtard.

Ce qu’il y a de plus réussi dans Pigalle, et que Dridi refera encore mieux dans Bye-bye, c’est justement le côté « chronique réaliste » du projet, une façon assez intéressante de capter avec la caméra des corps en mouvement. Francis Renaud, pourtant très bien dans Parfait amour ! de Breillat est un acteur assez fadasse (le Xavier Delluc des années 90 ?) et Véra Briole n’est pas une très grande comédienne au sens traditionnel du terme mais ces deux-là ont une façon de se mouvoir, d’occuper les plans avec leurs corps qui finit par intéresser. Le personnage de Véra est assez bien vu puisqu’elle n’est d’abord qu’un corps (elle est strip-teaseuse dans des cabines de peep-shows) et le cinéaste parvint à en faire une véritable héroïne de cinéma, une figure incarnée.

Si le cinéma consiste aussi à savoir filmer des corps dans un espace, Karim Dridi a assurément un talent de cinéaste. Mais tout n’est pas à la hauteur de ces corps.

En intitulant un film Pigalle, Dridi savait qu’il serait attendu au tournant quant au folklore que charrie depuis un certain temps ce quartier « chaud » de la capitale. Or cet héritage, il ne sait pas trop quoi en faire, hésitant entre le pur cliché et une tentative pour les renouveler.

Les clichés, c’est bien entendu cette faune où l’on croise prostituées, maquereaux, travestis, strip-teaseuses et autres gérants de sex-shops. Le cinéaste ne nous épargnera même pas le vieux travelo paradant sur scène en roucoulant avec l’accent parisien la môme Pigalle.  Tout cela n’est pas tellement emballant mais presque plus sympathique que cette tentative un peu vaine de « moderniser » le côté populaire de Pigalle avec ses pickpockets, le petit arabe gouailleur (une vraie tête à claques !) et les bistrots où les pochards se déshabillent sur les tables sous les acclamations et cris de sioux des habitués ! Pour le coup, ces tableaux ne fonctionnent pas et restent dans l’ordre du folklore le plus éculé.

Reste la troisième dimension du film, à mon sens la plus désastreuse, qui est celle du film de gangsters. Dridi tente, en effet, de greffer une vague histoire de règlements de comptes entre mafieux s’agitants pour contrôler le quartier (notamment en terme de trafic de drogue). Nous aurons le droit à des personnages pittoresques bien caricaturaux (« l’empereur », un nain cul-de-jatte qui semble détenir tous les pouvoirs, Jésus dit « le gitan »…) et une volonté un peu grotesque de transposer les films de Scorsese dans le cadre d’un film franco-français (nous nous serions volontiers passés de la tête coupée ou des assassinats dans les chiottes glauques d’un cinéma !).

Pour le coup, Dridi ne maîtrise alors plus du tout son film et le spectateur se sent un peu gêné face à ces galéjades de cinéphiles fascinés par ces univers violents et interlopes.

C’est dommage car toutes ces interférences (ce goût du « milieu », ce folklore des bas-fonds…) finissent par faire perdre son intérêt à un film qui, parfois, n’est pas sans talent. Encore aurait-il fallu se concentrer sur l’essentiel : l’ambiguïté sexuelle d’un jeune homme attiré à la fois par une jeune femme et un transsexuel, l’énergie des corps jeté dans la ronde des passions…

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