Le violent
La maison dans l’ombre (1951) de Nicholas Ray avec Robert Ryan, Ida Lupino
Faux espoir ! Je croyais sincèrement qu’était prévue une intégrale Nicholas Ray sur Cinécinéma Classic (je ne sais plus où j’ai lu ça) or il semblerait que le cycle consacré à l’auteur de La fureur de vivre s’arrête la semaine prochaine. Ce n’est donc pas encore cette fois-ci que nous pourrons apprécier Johnny Guitar (nous y arriverons bien un jour !) ou revoir Traquenard et la forêt interdite.
Néanmoins, ce n’est pas sans un certain plaisir que nous avons pu découvrir La maison dans l’ombre, beau film noir qui élide peu à peu son intrigue policière au profit d’une étude subtile et profonde de caractères psychologiques. Une fois de plus, Ray peint le portrait d’un homme (Robert Ryan, ambigu à souhait) dévoré par ses pulsions les plus enfouies.
Wilson est un flic qui enquête avec deux collègues sur le meurtre d’un des leurs. Lorsqu’ils arrêtent un suspect, il ne peut plus se contrôler et le frappe violemment. Il récidivera d’ailleurs en ayant recours, une fois de plus, à des méthodes musclées, ce qui lui attirera les foudres de sa hiérarchie…
Ray nous installe dans un premier tant dans un univers à la James Ellroy : patrouille de flics dans les rues sombres et malfamées de la ville, univers de la pègre et des gangs, policiers ambigus et sujets à des crises de violence…Ryan rappelle aussi le personnage de Bogart dans Le violent : un être seul qui ne contrôle soudain plus ses gestes et qui laissent parler ses instincts les plus refoulés. La maison dans l’ombre est dans un premier temps un polar urbain assez impressionnant par la sécheresse de sa mise en scène et cette capacité d’aller à l’essentiel en un nombre réduit de plans (Eh, Peter Jackson, prenez ici un exemple d’efficacité : le film dure 85 minutes !).
Le fait que Wilson soit flic renforce l’intérêt de la chose dans la mesure où Ray montre la violence que recèle chaque individu et ses zones d’ombre même quand celui-ci est censé être du « bon côté » de la barrière. Wilson a beau être du côté de la Loi, il se conduit (c’est ce que lui reproche son chef) comme un gangster et ne maîtrise absolument pas ses pulsions malsaines.
Dans la deuxième partie du film, il est donc « mis au vert ». Envoyé dans une cambrousse neigeuse, il enquête sur le meurtre d’une jeune fille qui le conduit à une maison isolée où il rencontre la sœur du supposé criminel dont la particularité est d’être aveugle (la jeune femme, pas le criminel !).
Une fois de plus, plutôt que d’établir de rassurantes catégories entre le Bien et le Mal ; Ray se plait à brouiller les pistes. Aussi ignoble soit son assassinat, il y a chez le jeune coupable une humanité presque banale qui a soudainement « déraillé ». Et lorsque le cinéaste montre un père de famille ravagé par la douleur et pour qui seule compte la loi du Talion ; il interroge de manière assez vertigineuse ce que peuvent être les pulsions meurtrières chez l’homme. Contrairement à ce que l’on a pu beaucoup voir chez beaucoup d’autres « classiques » hollywoodiens, à savoir l’abandon de la violence individuelle au profit de la Loi ; Nicholas Ray montre que cette Loi derrière laquelle s’abrite les civilisations n’est qu’un masque qui recouvre imparfaitement toute la sauvagerie qui subsiste en l’Homme.
Même si le film se termine sur un happy-end convenu et sans doute imposé par la production ; la maison dans l’ombre est un film très pessimiste sur la nature humaine.
Que le personnage d’Ida Lupino (qu’elle interprète avec une rare délicatesse) soit aveugle n’est pas un simple prétexte mélodramatique mais permet au cinéaste de montrer une humanité qui avance à tâtons dans la nuit, dévorée par le feu de ses pulsions et de ses passions, à la recherche d’un bras secourable…