Vers le sud (2005) de Laurent Cantet avec Charlotte Rampling, Karen Young, Louise Portal

 

 

Depuis ses premiers courts-métrages (le très beau Jeux de plage), je suis avec intérêt l’œuvre de Laurent Cantet. Que ce soit dans Ressources humaines ou l’emploi du temps, rares sont les cinéastes qui arrivent à parler avec une telle finesse de la violence des rapports sociaux et à distiller un véritable malaise sans passer par la sociologie (« ach ! le chômage, gross malheur ! ») ou la psychologie.

En délocalisant son cinéma « vers le sud », Cantet tenait un bon sujet. Tout le monde sait désormais que ce film raconte l’histoire de Brenda (Karen Young), une américaine approchant  la cinquantaine, qui s’offre des vacances à Haïti. Là bas, elle rencontre deux autres quinquagénaires, Ellen (Charlotte Rampling) et Sue (Louise Portal), venant comme elle profiter du soleil et des soins que leur prodiguent de jeunes et beaux autochtones. C’est autour d’un de ces gigolos, Legba (Menothy Cesar) que va se cristalliser un conflit entre Brenda et Ellen, aucune ne voulant laisser filer le trésor dont elles sont finalement tombées amoureuses.

 

 

Une trame pareille pouvait nous laisser envisager une foultitude d’enjeux : les rapports Nord/Sud (avec ces touristes profitant de plages paradisiaques tandis que le pays crève de la plus insoutenable misère), le devenir des femmes occidentales après 45 ans dans un univers qui prêche l’hédonisme marchand le plus complet mais qui exclut tout ce qui sort de la « norme » (le vieux, le laid, le gros…), les rapports de classes entre ces bourgeoises oisives et ces gigolos noirs qui tentent de s’en sortir, le malaise et la mauvaise conscience de l’Homme blanc et de ses petits problèmes de libido et sentimentaux alors qu’il se trouve confronté à un régime pourri et corrompu jusqu’à la moelle…

 

 

Sauf que Laurent Cantet ne traite pas son sujet et que Vers le sud représente, d’après moi, son premier faux pas. Passées les vingt premières minutes où le cinéaste expose habilement les enjeux du film (et puisque à l’heure où je vous écris, je vois tomber par ma fenêtre la neige à gros flocons, force est de constater que ces plans larges sur une mer turquoise sont agréablement dépaysants) ; c’est la panne sèche. Le film affleure les thèmes qu’il devrait traiter mais se montre trop timide pour véritablement nous intéresser.

Les rapports nord/sud ? Cantet se permet quelques apartés dans une ville dont la pauvreté fait contraste avec le décor paradisiaque de la plage et puis c’est tout.

Les rapports sociaux ? à part une scène étonnante où un maître d’hôtel noir refuse de servir à manger à Legba en raison de sa couleur de peau, nous resterons sur notre faim.

Les rapports sentimentaux entre ces femmes mûres et ces jeunes gigolos ? là encore, Cantet se montre trop prudent et nous offre un film dénué de sensualité. Pareillement, il n’ose pas s’abandonner au tragique et au lyrisme lorsqu’il filme le conflit entre Ellen et Brenda.

Pourtant, ces deux femmes sont des personnages qui s’inscrivent dans la droite lignée des films de Cantet, à savoir des individus qui ne supportent plus l’écart entre ce qu’ils sont réellement et le regard que les autres portent sur eux.

C’est du regard que naît le conflit chez Cantet : conflit père/fils dans Jeux de plage (où c’est le père qui mate les ébats amoureux de son fils) ou dans Ressources humaines (regard du fils sur un père qui se trouve désormais « en-dessous » de lui dans l’échelle sociale), conflit de JC.Romand avec sa famille et le monde entier dans l’emploi du temps où cet homme s’invente un travail à temps plein pour ne pas affronter le regard des autres sur sa situation de chômeur.

Ellen, Brenda et Sue viennent à Haïti pour fuir le regard que le monde occidental pose aujourd’hui sur les femmes de 50 ans. Exclues d’un monde qui leur interdit le droit d’être amoureuses, d’avoir des désirs, d’être encore attirées par le sexe ; elles cherchent à se retrouver elle-même loin de leurs proches tout en sachant que la situation a quelque chose de factice (comme la vie du chômeur de l’emploi du temps) puisqu’elles payent pour être aimées.

Cantet n’insiste malheureusement pas assez sur la pression de ce regard, sur la violence faite aux femmes vieillissantes (Dieu sait que pourtant Charlotte Rampling et Karen Young sont encore très désirables !).

D’ou ce film qui navigue un peu le cul entre deux chaises (entre un sujet passionnant et une manière complètement timorée de le traiter) et qui au final s’avère un peu anonyme malgré trois superbes actrices (Charlotte Rampling, impériale ; Karen Young, sublimissime et Louise Portal, délicieuse même si j’avoue avoir eu un petit choc de la retrouver 20 ans après qu’elle ait été l’égérie plantureuse de la bande de Mes meilleurs copains !)

 

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