La naissance des dieux
Ces rencontres avec eux (2005) de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet (coffret 2. Editions Montparnasse)

En découvrant Ces rencontres avec eux, je me suis demandé si l’intérêt que nous portions aux Straub (intérêt réel) ne résidait pas principalement dans le choix des textes qu’ils décident de porter à l’écran. Car autant je suis sorti enthousiaste et conquis par leurs transpositions de Kafka (Amerika, rapports de classe) ou de Vittorini (Sicilia !), autant je confesse bien humblement avoir plus de mal avec les films qu’ils ont tirés de Pavese. Et quitte à faire pousser des cris d’orfraie aux émules du couple maudit, je dirais que lorsque le texte pour lequel ils ont opté attire moins l’attention, le spectateur ressent alors ce que leur cinéma peut avoir, parfois, de systématique.
Détaillons.
Ces rencontres avec eux est une sorte de codicille à De la nuée à la résistance puisque les Straub adaptent à nouveau les Dialogues avec Leucó de Pavese (pour être plus précis, les cinq derniers dialogues). Le film se compose donc de cinq tableaux au milieu desquels des acteurs non professionnels et dans une position toujours hiératique, disent les mots de l’écrivain italien.
Cette radicalité n’est pas sans une certaine beauté (je vais aussi y revenir) mais, pour le coup, j’ai vu aussi dans le découpage plutôt basique des « tableaux » (en gros, quelques plans moyens qui présentent les personnages en pied et quelques plans rapprochés qui isolent l’un des deux) ce que j’appelais plus haut ce « systématisme », comme si le film pouvait durer encore huit heures, filmé de la même manière rigide et sans jamais sortir de ses « gonds ».
Je le redis, cette légère monotonie que j’ai ressentie vient assurément d’un texte qui demeure pour moi assez hermétique (mais là, mon inculture en matière de mythologie gréco-romaine est seule en cause !).
Il est question dans ce film, comme dans De la nuée à la résistance, des liens entre les dieux et les mortels, de la naissance de l’aliénation lorsque les hommes abandonnent leur souveraineté terrestre pour l’offrir aux puissances divines. Thématique intéressante d’autant plus que les Straub font jouer ces dieux de l’Olympe par de acteurs on ne peut plus « terriens » (la plupart sont des paysans et ils sont tous extraordinaires). Preuve qu’au-delà des chimères divines, il ne reste qu’une chose : la terre, les éléments et l’homme qui la peuple et qui résiste (doit résister ?) à l’aliénation.
Encore une fois, ce qui me touche beaucoup dans le cinéma des Straub et qui m’a permis de suivre, malgré tout, Ces rencontres avec eux avec un certain intérêt, c’est la manière « minérale » qu’ils ont de faire du cinéma. C’est moins les dialogues qui m’ont touché que ces plans fixes sur un coin de nature immaculée ou ces petits panoramiques verticaux qui oblige l’œil à regarder le monde d’une manière inédite (le plan final est absolument splendide).
Le cinéma des Straub nous permet de réapprendre à voir une variation de lumière lorsque le soleil se cache derrière les nuages ou d’entendre le bruit d’un cours d’eau. Ca peut paraître dérisoire mais c’est énorme…
De la même manière, il faut insister une fois de plus sur l’attention que les cinéastes portent à la langue, à la manière presque charnelle qu’ils ont de la filmer. Nous ne sommes ni dans le jeu réaliste, ni dans la déclamation théâtrale mais dans une « artificialité » de l’articulation qui permet à chaque mot de résonner aux oreilles du spectateur. Et je pense que ça doit être encore plus « jouissif » pour quiconque maîtrise l’italien…
Ajoutez à cela la beauté du cadre et vous aurez compris que Ces rencontres avec eux, malgré mes petites réserves du début, mérite une véritable attention (dans tous les sens du terme !). Personnellement, je conseillerais au néophyte de commencer plutôt par Sicilia ! mais, quoi qu’il en soit, n’hésitez pas à jeter un œil curieux sur les œuvres des Straub si certaines passent, par hasard, à votre portée…
NB : Encore merci à ma copine Vierasouto pour le joli cadeau qu'elle m'a fait avec ce coffret DVD...