Funny games US (2007) de Michael Haneke avec Naomi Watts, Tim Roth, Michael Pitt

 

Funny games, le film originel a déjà 10 ans! Je l’ai déjà dis il y a fort longtemps : c’est le film de Michael Haneke qui m’a le plus intéressé. Plus, en tout cas, que ses films plus estimés par la critique que je trouve pourtant bien balourds (Benny’s video, 71 fragments d’une chronologie du hasard…) Dans quasiment tous ses films (j’excepte Caché que j’ai beaucoup aimé), il y a chez le cinéaste une volonté un peu trop évidente de « faire sens » et de se désoler de l’état déplorable dans lequel se sont affaissées nos sociétés contemporaines.

Ses constats ne sont pas forcément faux mais on peut rechigner devant ses mines de prof sévère venant nous donner des leçons le réglet à la main, prêt à s’en servir contre les élèves récalcitrants.

Ce que j’aimais dans le premier Funny games, outre son inscription dans un genre (que le cinéaste le veuille ou non, il réalisait un vrai film de terreur), c’est qu’il allait au bout de son obsession pédagogique et, pour le coup, prenait un plaisir sadique à malmener le spectateur, à le culpabiliser pendant 1h50 de jouir habituellement du spectacle de la violence. 

En découvrant Funny games US, qui est un décalque du premier transposé aux Etats-Unis, je me suis dis que, passé le choc de la première vision, il me semble être un peu moins sensible à ce cinéma totalement verrouillé même si je reconnais volontiers le talent d’Haneke.

Si le film raconte l’histoire d’une petite famille idéale prise en otage par deux jeunes gens totalement cinglés qui va la décimer minutieusement, c’est en fait le spectateur que le cinéaste prend en otage, l’acculant à l’asphyxie par une mise en scène qui ne lui permet jamais de respirer (ah ! ces interminables plans-séquences où le couple amoché tente, tant bien que mal, de s’extirper de l’horreur) et le contraignant toujours à réfléchir sur son rapport à la violence (les deux tueurs s’adressent parfois directement à nous et semblent n’agir que par la volonté du « spectateur » qui souhaite plus de violence et d’horreur) en lui refusant toute « jouissance » de l’image.

A l’image des personnages bloqués dans leur maison, enfermés derrière de hautes grilles ; le regard du spectateur n’a aucun endroit pour s’enfuir, s’échapper de ces plans presque trop bien agencés. Et lorsque le temps d’un plan qui fit beaucoup couler d’encre à l’époque, Haneke utilise la fonction « retour rapide » d’une télécommande de magnétoscope pour empêcher un dénouement conforme aux vœux du spectateur ; on se dit que c’est peut-être un peu trop, que le film n’a finalement pas besoin de nous puisqu’il déroule son programme sans la moindre anicroche.

Ces réserves, je pense que vous en lirez beaucoup du même style dans la presse (que je n’ai pas encore été voir) par des critiques toujours prêts à s’insurger lorsqu’on les malmène dans leurs certitudes et qui s’exclameront d’emblée « touche pas à ma jouissance de spectateur ». Et c’est paradoxalement pour ça que j’aime quand même plutôt bien ce film : pas par esprit de contradiction mais parce qu’à l’époque où les jargonneurs universitartreux tombent en pamoison devant le « subtil », j’avoue avoir un petit faible pour les cinéastes « lourds », massifs et minéraux comme Haneke (ou, dans un tout autre genre, Dumont). Le cinéaste se moque éperdument de toutes les explications sociologiques ou psychologiques que l’on peut trouver pour expliquer la violence (voir la scène très drôle où Pitt explique les raisons de leurs actions en racontant n’importe quoi au couple terrifié : soit que son compère est un drogué, soit qu’il est nihiliste ou encore qu’il vient d’un milieu totalement défavorisé). Cette volonté de se moquer de toutes les justifications à la violence et de la traiter d’un point de vue presque allégorique (ces deux jeunes gens habillés de blanc qui viennent s’immiscer dans les foyers résidentiels sont une incarnation abstraite de la violence) rend le film très intriguant.

C’est aussi ce qui provoque le malaise et nous pousse à nous interroger : la violence est gratuite et elle s’abat sans raison particulière dans toute son horreur, au cœur même du microcosme qui semble le plus protégé : celui de la famille et du foyer (en ce sens, Haneke actualise le propos tenu par Peckinpah dans le superbe Les chiens de paille).

D’autre part, cette volonté qu’a le cinéaste de nous montrer ce qu’est réellement la violence (là encore, en passant par des durées insupportables qui ajoutent à cette fameuse « lourdeur ») sans pour autant nous permettre d’en jouir l’oblige à un travail assez passionnant sur le hors champ.

Les beaux esprits auront beau se plaindre du déplaisir qu’ils auront eu à subir la « leçon » du maître austère, il faut quand même être aveugle pour ne pas voir qu’il y a beaucoup plus de cinéma chez Haneke que chez Gitaï ou dans le dernier Doillon.

Le travail sur le cadre, sur une certaine glaciation des choses (ces jeunes gens tout de blanc vêtu) et sur la composition des plans est impressionnant. En jouant en permanence sur le hors champ (les coups ou les morts ne sont pas filmés frontalement), le cinéaste distille un véritable malaise qui ira crescendo. Et d’une certaine manière, il rejoint (même si cette idée lui fera sans doute horreur !) les cinéastes de genre lorsqu’ils travaillent l’angoisse. La mort du chien (juste un travail sur la bande-son) ou encore la longue cavale du fils sont des morceaux de bravoure superbement mis en scène, extrêmement anxiogènes (comme on dit chez les pros !).

Finalement, plus que leur didactisme ou leur côté démonstratif, l’intérêt de ces deux Funny games (l’autrichien et l’américain) vient certainement de ce côté « cinéma de genre » qui confère à ces thrillers horrifiques un aspect véritablement terrifiant…

 

NB : C’est définitif : Naomi Watts est sublime !

 

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