Paradis perdu
Le nouveau monde (2005) de Terence Malick avec Colin Farrell, O’Qrianka Kilcher, Christian Bale
En cette période de vaches maigres, Le nouveau monde fait figure de premier événement de l’année cinématographique. Faut dire qu’avec quatre films en 30 ans, Terence Malick n’est pas ce qu’on peut appeler un auteur prolifique et qu’il est légitime de manifester une certaine curiosité vis à vis de ses derniers opus.
Quand à moi, il serai exagéré de prétendre que j’attends fébrilement chacune des dernières nouvelles du maître. Si j’avais énormément aimé Badlands, son premier film, Les moissons du ciel m’a paru un beau film estimable mais sans rien d’exceptionnel et je n’ai pas vu La ligne rouge. On a déjà vu fan plus zélé !
Par contre, on peut difficilement nier la cohérence d’un cinéaste qui filmait dès 1974 la cavale amoureuse d’un couple cherchant à fuir la société et ses règles absurdes pour retrouver une harmonie plus proche de la nature et qui persiste encore aujourd’hui à montrer les conflits entre la civilisation et un Paradis naturel perdu.
Comment mieux filmer cette opposition qu’en se penchant à nouveau sur la découverte du Nouveau Monde et les mythes fondateurs de l’Amérique ? (d’autant qu’après l’atroce 1492 de Ridley Scott, on ne peut que faire mieux sur le sujet !)
Malick situe son film au début du XVIIe siècle, date à laquelle un groupe de colons britanniques débarquent sur les côtes américaines afin de s’y installer. Après un certain nombre de déboires pour fonder la colonie (maladie, récoltes fichues…) , le capitaine Smith (C.Farrell) est chargé d’aller réclamer des vivres à la tribu indienne qui vit aux alentours. Fait prisonnier, il voit sa vie épargnée grâce à Pocahontas (O’Qrianka Filcher, actrice sublimement belle !), jeune indienne avec qui il va vivre une histoire d’amour passionnée.
C’est du côté d’Emerson et de Thoreau qu’il faut chercher les sources dans lesquelles puise Malick. Même nostalgie pour un état de nature paradisiaque, même philosophie mystique et panthéiste sacralisant l’innocence naturelle contre la corruption de la civilisation. Au contact des indiens, Smith retrouve une harmonie perdue , une vie en communauté où a disparu l’égoïsme, la cupidité, l’ambition… C’est la vie simple d’individu à l’écoute de la terre, de l’eau, de la forêt (le cinéaste nous offrant ses habituelles plages contemplatives, assez belles d’ailleurs, en magnifiant de ses plans larges cette « mère nature »).
Il serait facile de se gausser de la naïveté de cette philosophie (et c’est vrai que par certains côtés, le film est parfois un peu cucul) mais à l’heure où l’Occident étouffe de son odieuse arrogance, prétend offrir des leçons de morales à la planète entière et ne voir le Mal que chez l’Autre, un cinéaste qui se place du point de vue de cette altérité, de cet Etranger ayant un autre mode de vie que le notre ne peut que forcer le respect. Et lorsque Malick critique cette pseudo-civilisation qui impose son Dieu (voir les éructations vengeresses contre les « sauvages » d’un fanatique haineux), son mode de vie et croit à l’offrande divine d’une Terre Promise qu’elle peut coloniser sans se soucier des peuples occupant cette terre, le cinéaste fait preuve d’un véritable regard politique et inspire la sympathie.
De la même façon, il filme de jolie manière la naissance de l’amour entre Pocahontas et Smith, les deux devant réinventer un langage amoureux ne passant pas par la parole. Là encore, on sent une certaine nostalgie pour des rapports amoureux se développant hors de toutes conventions sociales. A moins d’être une brute, c’est assez touchant.
Malgré ses qualités (je ne vois pas comment on peut nier que Malick est un sacré cinéaste), je n’arrive pas non plus à être totalement emballé par ce Nouveau monde. On fait sans cesse grand cas de cette œuvre parcimonieuse où rien n’est laissé au hasard. Je n’ai rien contre les cinéastes obsédés par la maîtrise totale de leurs effets et qui ne tournent qu’un film tout les sept ans (j’adore Kubrick). Pourtant, je ne suis pas persuadé que le cinéma soit un art de la maîtrise. Art de l’espace et du temps (plutôt que de l’image, qu’on se le dise !), il me semble nécessaire pour un bon film de rester ouvert à toutes sortes d’aléas (jeu des acteurs, aléas des lieux, des saisons…). Prenez Rohmer : vous pouvez être sur que, tourné en été ou en hiver, un même scénario donnera lieu à deux films totalement différents ! Chez Malick, on sent le besoin de tout maîtriser constamment. Du coup, l’indéniable beauté de ses films a quelque chose asphyxiant.
Et puis j’avoue ne pas aimer les dernières 45 minutes du film que je ne révèlerai pas si vous tenez à aller le voir. Il me semble qu’il y a quelque chose de contradictoire avec tout ce qu’on a vu précédemment, une sorte d’éloge du renoncement de la résignation qui me déplait farouchement. Du coup, le film paraît un peu longuet et se traîne sur la fin.
Que ces réserves ne vous empêchent pas d’y aller jeter un œil : c’est malgré ses faiblesses et ses naïvetés un film qui mérite le détour…