Le coin du nanar
L’épave (1949) de Willy Rozier avec Françoise Arnoul, André Le Gall
Puisque de scaphandrier il est question dans le film, rendossons notre attirail de plongée pour sonder une fois de plus les bas-fonds de la cinéphilie orthodoxe et repêcher ce goûtu nanar signé Willy Rozier, cinéaste injustement oublié qui s’est suicidé en 1983, à l’âge de 82 ans, dans l’indifférence générale.
A ce titre, je demande à mes amis bordelais (le Cinéphage, Stanislas Kazal et peut-être d’autres) de faire pression sur leurs élus locaux pour qu’on érige à ce natif de Talence (banlieue bordelaise) une statue ou qu’on lui offre un nom de rue (il n’y a pas de raison que ce soit toujours des assassins du style Thiers ou Foch qui bénéficient de ce privilège !) en hommage à son œuvre splendidement ringarde (1).
L’itinéraire de cet homme est typique de l’évolution d’un certain cinéma populaire français qui n’eut d’autre ambition (déjà fort noble !) que de divertir le public du « samedi soir ». Il commença par des mélodrames dans le style de l’épave puis se spécialisa dans le film d’aventures que je suppose miteux (on lui doit quelques titres consacrés aux aventures de Callaghan) avant de terminer sa carrière par un film érotique soft (Dany la ravageuse) et un semi-hard en 1975 (Dora, la frénésie du plaisir). Si le bilan peut sembler peu reluisant, reconnaissons à ce cinéaste d’avoir eu du nez pour dégotter de jolis talents puisqu’il fit débuter Françoise Arnoul (ici même) et… Brigitte Bardot en 1952 dans Manina, la fille sans voile (hum ! un titre pareil laisse rêveur…).
L’épave est une énième variation mélodramatique sur les amours impossibles entre une jeune fille qui veut réussir dans le spectacle et un beau scaphandrier qui perdra la tête pour cette belle plante un peu garce sur les bords. Le tout servi dans une ambiance de bouiboui provençal et de chansons réalistes.
Le début du film est assez plaisant. En bon « pionnier ringardos de l’érotisme pré-bénazérafien » [Bouyxou], Rozier fait déjà preuve d’un certain (bon) goût pour le nu féminin. Cela nous vaut une séquence de music-hall délicieuse où une gente dame pousse une chansonnette (En revenant des galeries Lafayette) dont les paroles l’invitent à se mettre à son aise. Bonne fille, elle s’exécute le temps d’un effeuillage aussi pudique que charmant (elle n’enlèvera pas ses dessous). Et puis, il y a ces deux passages où notre héroïne Perrucha doit se déshabiller. Moments hilarants, car Françoise Arnoul est ostensiblement doublée ; ce qui nous vaut des raccords très hasardeux et un « body double » qui, comme dans les films d’Ed Wood, tourne la tête à la caméra et n’offre à l’objectif qu’une chevelure dissimulant tant bien que mal le visage de ladite doublure !
Devons-nous en conclure que la délicieuse Françoise Arnoul était une mijaurée, effrayée à l’idée d’exhiber ses appâts ? Que nenni ! C’est Jean-Pierre Bouyxou qui nous explique, dans Une encyclopédie du nu au cinéma, la raison du subterfuge tout en se penchant (pas trop prêt, ça ne se fait pas !) sur les exhibitions cinématographiques de la belle :
« Françoise Arnoul n’avait pas pu, en 1949, montrer ses seins dans l’épave : elle n’avait que 18 ans et Willy Rozier, le réalisateur, n’avait pas osé braver l’ire des gardiens de la morale (rappelons que l’âge de la majorité était alors fixé à vingt et un ans et que la censure, en cette sinistre période d’après-guerre, était particulièrement vétilleuse). Elle fut donc doublée mais, crânement, attendit d’être majeure pour exhiber, sans tricher d’avantage, ses boites à lait dans Le fruit défendu (Henri Verneuil, 1952). Afin d’effacer définitivement toute frustration, elle récidiva –après avoir entre-temps, révélé son postérieur dans Le diable et les dix commandements (Julien Duvivier, 1961)- dans Der kongress amüsiert (Le congrès s’amuse, Geza Radvanyi, RFA, 1965). On n’avait rien perdu à patienter, car sa poitrine était beaucoup plus belle que celle qui lui avait primitivement été substituée » (2)
Vous noterez la haute tenue de ce blog et la rigueur intellectuelle de votre serviteur, toujours soucieux de vous apprendre moult choses essentielles sans jamais faire l’impasse sur ses ambitions pédagogiques !
Bref, une fois évoqué Françoise Arnoul qui est le seul intérêt de ce film (André Le Gall se contentant de singer Gabin dans le numéro du brave populo épris et trompé par la perfidie des femmes) ; il n’y a plus grand chose à dire. C’est une curiosité, un vestige archéologique d’une époque révolue.
C’est totalement ringard mais finalement plus sympathique que les mélos rustico-pétainistes de Jean Gourguet car dénué de prétentions moralisatrices.
Rien que pour cette raison, Willy Rozier méritait bien cet humble hommage…
(1) Notons au passage que c’est également de la région bordelaise qu’est natif l’Alexandre le Grand du navet, à savoir Emile Couzinet.
(2) Pour une fois, je vais nuancer ce qu’écrit Bouyxou. En effet, si le doublage de l’actrice crève les yeux, il y a un moment fugitif dans l’épave où André de Gall, après avoir embrassé Arnoul dont on voit le visage, se retire en relevant fugacement un pan du drap, permettant ainsi au spectateur attentif d’entre apercevoir ces trésors que Tartuffe s’obstinait à ne pas vouloir voir (quel con !)