Police
Le petit lieutenant (2005) de et avec Xavier Beauvois et Nathalie Baye, Jalil Lespert, Roshdy Zem, Antoine Chappey
Influencé une fois de plus par les critiques dithyrambiques que récolta ce film, je faillis me rendre en salle pour le découvrir à sa sortie. Mais échaudé par sa bande-annonce, j’eus la perspicacité de me méfier et d’attendre sagement une éventuelle diffusion télévisée. Bien m’en prit car mon intuition était juste : Xavier Beauvois a beau être un cinéaste adoubé par Douchet et les Cahiers qui s’aplatissent devant chacun de ses nouveaux films ; le petit lieutenant est une oeuvre sans intérêt dont on peine à comprendre les éloges qu’elle a pu susciter (éloges éphémères car aucun critique ne songerait sérieusement aujourd’hui à se réclamer de ce titre !)
Pour son premier poste chez les policiers, Antoine (Jalil Lespert) choisit Paris et la PJ. Le voilà donc séparé de sa province natale (il vient du Havre) et confronté aux problèmes de la capitale. Sa première enquête l’amène à se pencher sur le meurtre d’un clochard, vraisemblablement assassiné par deux russes…
Pour définir le genre du film, le critique de Télérama parle de « polar d’auteur » en sous-entendant, sans doute, qu’il ne s’agit pas là d’un simple film policier. Or cette désignation, que l’on imagine élogieuse, reflète parfaitement l’échec du projet.
D’un côté parce que le film se révèle assez laborieux tant du point de vue du « genre » (scénario anémique, enquête lymphatique…) que de la conduite du récit (on a vu film plus captivant). De l’autre, parce que ce côté « auteur » n’a plus rien à voir avec la mise en scène et le style. La « politique des auteurs » est ici totalement dévoyée et renversée en ce sens qu’il ne s’agit plus désormais de découvrir un style personnel dans des œuvres de « genre » mais de plaquer artificiellement un blason, une griffe sur n’importe quel sujet pour avoir l’estampille « auteur » ! Le genre n’est plus alors qu’un prétexte et se trouve, lui aussi, dévoyé…
Lorsqu’on découvre Le petit lieutenant en prime time sur France 2, on se dit que le film de Beauvois a été entièrement conçu pour ce créneau horaire et cette diffusion. Rien ne le distingue, en effet, d’un téléfilm anonyme ou de ces insupportables séries policières françaises. La mise en scène se borne à une succession de plans rapprochés ou de gros plans grisâtres. Comme le montage m’a paru peu inspiré, tout semble très rapidement terne et tristounet.
Si je dis que l’on se désintéresse très rapidement de cette vague enquête de tueurs russes, on va me rétorquer que le propos de Beauvois se situe ailleurs et que l’intérêt du film est autre. Certains oseront même parler de son côté « documentaire » et quotidien…
Le problème, c’est que toutes les intentions du cinéaste sont soulignées lourdement. Lorsqu’il se penche sur le relation entre Antoine et son commandant Vaudieu (Nathalie Baye), femme qui tente de se sortir tant bien que mal de l’alcoolisme ; il s’embourbe une fois de plus dans les marais du gros cinéma naturaliste et psychologique à la française. Très vite on comprend que cette femme fait un transfert sur ce garçon en qui elle voit l’image de son fils mort. Et Beauvois d’appuyer avec insistance en filmant le visage contrit de l’actrice et en laissant planer de lourds silences (attention ! passage douloureux !).
De la même manière, l’aspect « documentaire » du film me laisse plus que sceptique. On sent que le cinéaste a bien listé, avant de commencer à tourner, tous les écueils qu’il voulait éviter (ne pas faire de tous les flics de gros beaufs racistes, les montrer au quotidien sans « caricature »). Sauf qu’à trop s’en tenir à une prétendue objectivité, à ne pas vouloir affirmer un véritable point de vue (ce qui, me semble-t-il, est le minimum que l’on puisse exiger d’un artiste), le petit lieutenant devient vite une sorte de panel sociologique où chaque personnage se doit de représenter un peu de ce qu’est la police dans l’esprit de Beauvois. Nous voilà donc avec une série de quotas : un flic idéaliste, un arabe intégré dans le groupe, un type de droite mais sympathique quand même (joué par Beauvois) et le problème du racisme dans les rangs de la police effleuré un fois ou deux… Et à force de ménager la chèvre et le chou, le petit lieutenant prend les allures parfois peu sympathique d’œuvre pro flics tant toutes les aspérités sont gommées au profit d’un terne compte-rendu des actions quotidiennes de ces messieurs et dames (finalement, ce sont des travailleurs comme les autres).
Reste un casting solide qui est, avouons-le, le seul élément qui distingue ce film d’un banal téléfilm. Nathalie Baye est tout à fait convaincante dans ce rôle de commandante fatiguée et brisée par la vie ; Jalil Lespert et Roshdy Zem, dans des registres qu’ils connaissent parfaitement, sont plutôt bien et j’aime particulièrement la prestation d’Antoine Chappey.
Que ces comédiens de grand talent arrivent à sauver le film, je suis malheureusement incapable de l’affirmer…