Kes (1969) de Ken Loach avec David Bradley

 

Nous aurions pu intégrer Kes, l’un des films les plus célèbres de Loach, dans notre rétrospective sur le cinéma de 68 sauf qu’à découvrir cette œuvre, on se rend compte que la révolte que Loach professe contre la société depuis plus de 40 ans est indépendante des événements conjoncturels et qu’elle garde aujourd’hui le même visage qu’elle avait en 69.

C’est d’ailleurs ce que je reproche parfois au cinéaste : plaquer absolument une vision du monde inamovible sur le Réel quitte à sombrer dans le didactisme et l’artificiel (voir ma note sur le pénible Le vent se lève) en oubliant la forme (« Les véritables agitateurs d’une cause sont ceux pour qui la forme est plus importante. L’art empêche l’effet immédiat en faveur d’un effet supérieur » écrivait fort justement l’immense Karl Kraus).

On évite cependant ce travers dans ses premiers films qui sont d’ailleurs les meilleurs et, de ce point de vue là, Kes peut être rangé aux côtés de Family life comme un bon Ken Loach.

Le cinéaste suit les traces d’un jeune adolescent sauvage, Billy Casper, abandonné à son triste sort par une mère irresponsable (le mari s’est barré) et un frère violent et bas du front. Mis à l’écart dans son école, le garçon va s’attacher à un jeune faucon qu’il va apprendre à dresser…

Toutes les caractéristiques du style de Loach sont présentes dès 69 : attachement à décrire les conditions sociales des plus défavorisés (milieux ouvriers, familles décomposées…), réalisme cru d’une mise en scène au ras d’un quotidien morne et des horizons bouchés, justesse d’un regard qui sait saisir l’aliénation des individus au cœur de leur vécu… Si j’avoue bien humblement que ce cinéma flirtant avec le documentaire (les acteurs sont, sauf erreur, non professionnels et incarnent des personnages qui doivent être proches d’eux dans la vie « réelle ») n’est pas forcément ma tasse de thé ; je reconnais le talent du cinéaste pour éviter la platitude d’un naturalisme sans style. Son film n’est pas d’un abord très séduisant (la photographie est plutôt terne et s’accorde avec l’univers lugubre qui est décrit) mais le spectateur sent qu’il est pensé : le cadre est intelligent, le montage alerte et la direction d’acteurs impeccable.

Comme dans Family life, le cinéaste montre l’aliénation d’individus dans le cadre des institutions sociales.  Il ne s’agit plus ici de la famille (encore que !)  et de l’hôpital mais de l’école. Tout le film est construit autour de l’opposition entre la manière dont Billy apprivoise son faucon (sans le brider et en lui laissant peu à peu s’envoler et reprendre sa liberté) et celle dont l’école ne forme que des perroquets, des robots destinés à la simple répétitions d’une culture pré mâchée par la société.

Le cinéaste montre avec une réelle force l’injustice qui vient frapper dès le plus jeune âge les écoliers réticents et ceux qui sont un peu « hors normes ». A ce titre, je vous recommande la terrifiante partie de foot qui m’a rappelé, non sans sueurs froides, les terribles humiliations d’être toujours le dernier joueur choisit par les capitaines (les « bons en sport ») ! Etonnez-vous après de la haine que je professe à l’égard du foot et pour les profs de sport ! (entre sadisme et mauvaise foi, celui du film est particulièrement gratiné !)

Dans cet univers où l’on n’inculque que le respect des normes (rien à voir avec le savoir, le développement de l’intelligence et de la sensibilité. Pourtant, lorsque Billy se passionne pour son faucon, il est capable de faire montre d’une intelligence et d’une curiosité exceptionnelles), seuls les rampants et les serviles sont distingués (« Un enfant raisonnable est une sale graine de délateur dévot et lâche. » disait Lichtenberg).

Kes frappe encore aujourd’hui par la justesse de ce constat porté sur l’institution scolaire (même si les méthodes ont beaucoup évolué et qu’on imagine mal que soient encore possibles aujourd’hui les coups de baguettes sur les mains !) et sur la manière dont elle bride la curiosité et la créativité de l’enfance. A côté de cela, Loach se permet de jouer, sans aucun pathos, la carte du mélodrame qui lui permettra par la suite de réaliser son meilleur film (Ladybird).

L’amitié entre un enfant et un faucon ne semblait pas, sur le papier, un sujet propre à nous émouvoir mais le cinéaste britannique y parvient avec sa rugosité et son sens du dépouillement qui font de Kes l’une de ses plus belles réussites.

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