Epouse et concubines
8 femmes ½ (1999) de Peter Greenaway avec Toni Colette, Amanda Plummer
J'ai beaucoup aimé Peter Greenaway à une époque et c'est avec un véritable enthousiasme que je découvris Meurtre dans un jardin anglais, Zoo, le ventre de l'architecte ou encore Le cuisinier, le voleur, sa femme et son amant. Mais pour le coup, je suis depuis quelque temps comme l'intendance en 40 : je ne suis plus ! Mis à part The pillow book, je n'ai guère aimé ses derniers films (du moins, ceux qui arrivent encore sur nos écrans français).
Alors que son dernier opus la ronde de nuit l'a plus ou moins réconcilié avec la critique (personnellement, il m'a barbé), j'ai failli être davantage séduit par son fort décrié 8 femmes ½.
En effet, je trouve le début plutôt pas mal, Greenaway mettant la pédale douce sur ses plans surchargés et composés jusqu'à l'asphyxie (The baby of Macon). Même si le cadre est toujours superbe, le cinéaste se montre plus tranchant dans le montage, jouant sur des changements d'axes et l'échelle des plans de manière assez habile (je pense à ce moment où les raccords dans l'axe se font par des fondus enchaînés afin de nous rapprocher et nous éloigner successivement des deux personnages principaux, à savoir un père et son fils).
Même si le générique laisse supposer que nous allons assister à un nouveau délire taxinomiste du cinéaste fou, le récit se révèle assez limpide : parce qu'il ne supporte pas de voir son père sombrer dans la déprime après la mort de sa femme, un jeune homme décide d'installer dans la maison de son géniteur un certain nombre de femmes et de transformer le manoir familial en véritable gynécée.
L'exposition du film est assez brillante et l'on retrouve l'ironie féroce du cinéaste. En plaçant son film sous les auspices de Fellini (le père et le fils vont voir 8 ½ ensemble), le cinéaste peut laisser libre court à ses réflexions sur le sexe et les fantasmes. Cela nous vaut des scènes assez provocatrices (le fils qui « console » son père veuf du manière que la morale et Freud réprouvent) ou d'autres très drôles (les discussions très crues sur le sexe pendant la projection du film de Fellini alors que le père refuse de parler de tout autre sujet, jugé moins important ou plus « intime »).
Pendant une heure, le film se déroule sur un rythme allègre avant de décliner inéluctablement. Une fois le film dans ses rails et les belles jeunes femmes installées, Greenaway perd tout souffle et peine à donner un peu de chair à son projet alors qu'on devrait à ce moment pénétrer de plain-pied dans l'univers du fantasme. Or si le film séduit d'abord, c'est parce qu'il échafaude d'abord le projet d'un point de vue théorique (là où le cinéaste est toujours le plus à l'aise). Sitôt son système mis en place, il se montre totalement incapable d'offrir une quelconque incarnation à ses fantasmes de possession (toutes les femmes, y compris les asiatiques et les nonnes dont l'une est incarnée par la délicieuse Toni Colette).
Alors bien sûr, les thuriféraires de l'auteur pourront déceler ici une continuité dans son œuvre. Ce père et ce fils sont, une fois de plus, des metteurs en scène démiurges qui tentent de régir totalement leur univers et d'emprisonner le Réel selon leurs désirs. Ils soumettent totalement ces femmes à leurs désirs mais peu à peu, aussi vrai que l'appareil photo des jumeaux de Zoo tombait en panne au moment de saisir le mystère de la mort et de la décomposition, quelque chose échappe à cette maîtrise totale mais illusoire : les femmes meurent et l'une se refuse obstinément au fils, créant de la jalousie et du sentiment.
C'est donc bien un film de Peter Greenaway mais sans la facilité de ses grands films : à mesure qu'il progresse, le film devient pesant comme un sac de ciment sur les épaules d'un manœuvre algérien et finit par nous assommer totalement.
Greenaway est trop sarcastique et intellectuel pour croire à la chair, aux passions et à l'érotisme. Ses jeux raffinés, lorsqu'ils sont réussis, provoquent d'abord une jubilation intellectuelle. Quand c'est raté, il n'y a plus rien à quoi se raccrocher : ni la tête, ni les sens.
C'est malheureusement un peu le cas de ce 8 femmes ½...