The brig (1964) de Jonas Mekas



Poursuivons notre découverte de l'œuvre de Jonas Mekas avec ce curieux film réalisé au milieu des années 60. Curieux parce que The brig n'a pas grand-chose à voir avec les films expérimentaux que le cinéaste réalisera par la suite. Il s'agit d'une œuvre de « fiction » où le cinéaste nous plonge au cœur d'une prison militaire dans un camp de Marines américains au Japon. Il ne s'agit d'ailleurs pas d'une œuvre « originale » mais d'une « captation » d'un spectacle du Living Theatre de Julian Beck.

Mekas ne se contente évidemment pas d'enregistrer bêtement la représentation : sa caméra se meut rapidement à l'intérieur de l'espace scénique, se faufile derrière des grilles qui emprisonnent les personnages et capte en plans-séquences toute l'horreur du rituel militaire. Stylistiquement, nous sommes plus proche d'un certain cinéma « indépendant » américain (disons, pour schématiser, les premiers Cassavetes), que du « journal intime » du cinéaste.

La pièce du Living Theatre qu'il met en scène démonte de manière assez implacable les mécanismes de l'aliénation militaire (que les personnages soient des prisonniers et non de simples troufions ne changeant strictement rien à l'affaire). L'univers décris est un univers violent, scindé entre des gardes-chiourmes odieux et des hommes réduits à des numéros, constamment rabaissés et humiliés.

La force de la pièce, c'est qu'elle ne repose pas sur les dialogues ou la psychologie mais sur le rituel des gestes et de leur répétition absurde. Le film peut alors se voir comme une longue chorégraphie où les corps sont sans cesse brimés, asservis à la discipline militaire (« Sir, yes Sir ! ») et humiliés (interdiction de franchir une ligne blanche, obligation de faire des pompes, nombreux coups reçus de la part des gardes...)

Même si le film est « daté », il dépasse finalement la dénonciation circonstancielle d'une situation pour offrir une vision plus globale de l'horreur militaire et de ses rituels déshumanisants (la façon dont sont traités les prisonniers rappelle malheureusement des images plus récentes qu'on a pu voir du côté de l'Irak ou de l'Afghanistan). Même s'il ne s'agit pas tout à fait ici de « l'armée », on songe quand même à ces mots de Georges Darien dans Biribi :

« L'armée : une boutique dans laquelle on passe les consciences à la lessive et où les caractères, tordus comme des linges mouillés, sont placés sous le battoir ignoble de la discipline abrutissante. »

Le film montre très bien les mécanismes de cet abrutissement qui réduisent l'homme à un simple numéro broyé par une machinerie sans pitié. Il le fait toujours de manière « physique », sans le moindre discours à prétention sociologique ou politique ; en se contentant de montrer la répétition infinie des gestes absurdes et des corps réduits à ne plus obéir qu'à des ordres imbéciles (pléonasme).

Ce n'est sans doute pas le film que vous montrerez en priorité à votre petite amie (je concède qu'il existe spectacle plus romantique que les effluves sudoripares des cellules militaires !) mais il n'en est pas moins intéressant et suffisamment singulier dans l'œuvre de Mekas pour éveiller la curiosité...

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