Madame veut un bébé (1942) de Mitchell Leisen avec Marlène Dietrich, Fred MacMurray



La rétrospective que la Cinémathèque française lui a consacrée a permis aux cinéphiles de redécouvrir un grand auteur de comédies injustement méconnu : Mitchell Leisen. N'étant pas parisien, c'est grâce à l'édition en DVD de ces deux petits bijoux que sont La baronne de minuit (Midnight) et Jeux de mains (Hands across the table) que j'ai pu approcher pour la première fois l'œuvre du cinéaste mal-aimé.

Si Leisen, qui fut un cinéaste renommé à une époque, a totalement disparu des mémoires, c'est peut-être parce que celui qui fut son scénariste sur La baronne de minuit, à savoir Billy Wilder, le qualifia de « tante stupide » et « d'habilleur de fenêtres ». Voilà qui vous habille un homme pour l'hiver et les suivants !

Deux conceptions du cinéma se font face avec ces deux cinéastes : pour Billy Wilder, rien ne doit troubler la parfaite mécanique scénaristique et le découpage du film n'est là que pour mettre en valeur la dramaturgie et les dialogues. D'où la forme incroyablement « carrée » et efficace des films de Wilder même si elle peut paraître, au premier coup d'œil, un tantinet ingrate (nous sommes loin de la suprême élégance d'un Lubitsch). Chez Leisen, qui fut décorateur à ses débuts, il y a un goût évident pour l'ornementation, les frous-frous et autres colifichets. Dans Madame veut un bébé, le cinéaste n'hésite pas à s'écarter un peu de sa ligne de scénario pour s'attarder sur les toilettes et les chapeaux extravagants de Marlène Dietrich ou pour jeter un œil sur la décoration surchargée de la chambre du bébé. Ces écarts me rappellent, par certains aspects, les aspirations de l'Art Nouveau (ou art « nouille ») dans la mesure où le caractère « fonctionnel » du récit se perd dans les volutes du décorum et de l'ornement.

Ce côté « gratuit » et décoratif des films de Leisen correspond pourtant parfaitement aux thèmes qu'il aborde à chaque fois (c'est le cas des trois films que j'ai pu voir de cet auteur), notamment le thème du faux-semblant. Dans Madame veut un bébé, tout est « faux ». Marlène joue les actrices richissimes alors qu'elle est ruinée, elle joue à la mère de famille idéale alors qu'elle a « enlevé » un bébé orphelin et elle joue à la femme au foyer lorsqu'elle épouse son médecin (Fred MacMurray que d'aucuns trouvent fadasse mais que je trouve pas mal chez Leisen -c'est lui qui donne la réplique à la merveilleuse Carole Lombard dans Hands across the table- et à qui je pardonne tout pour avoir été le héros du sublime Demain est un autre jour de Sirk) alors qu'elle ne le fait que pour pouvoir « régulariser » sa situation aux yeux de la société et garder le bébé...

Dans ce contexte de faux-semblant généralisé, il ne s'agit pas de « dénoncer » des hypocrisies ou des conventions pour Leisen mais de trouver une vérité des personnages. Cette vérité, c'est justement l'apparat : Claudette Colbert débarque dans une soirée mondaine au début de La baronne de minuit, vêtue d'une somptueuse robe de soirée. Très vite, on réalise que cette robe est la seule chose qui lui reste, qu'elle est sa dernière « vérité ».

A travers cette quête d'une certaine « vérité » des personnages, on voit aussi ce qui peut distinguer le cinéaste des œuvres de Billy Wilder. Chez ce dernier, c'est le satiriste féroce qui l'emporte et les personnages sont souvent fait d'un seul bloc (Wilder est un génial caricaturiste). Chez Leisen, il y a toujours une volonté de « polir » les caractères, d'adoucir la caricature. C'est assez flagrant avec cet inspecteur des impôts qui débarque au début du film : a priori, c'est le type même du rond-de-cuir ridicule dont on va pouvoir rire facilement. Or Leisen nous fait rire mais sans mépris, lui donnant par certains aspects un côté presque « sympathique ». Ce que ce cinéma perd en efficacité comique (avouons le : on rit moins que face à un film de Wilder), il le gagne en humanité et Leisen parvient à réussir quelques très belles scènes où éclatent sa grande sensibilité (je vous recommande la scène ultra attendue mais traitée de merveilleuse façon où les « faux » époux tombent réellement amoureux l'un de l'autre après une soirée au champagne).

Madame veut un bébé est à la fois un film très classique (pas une seule surprise au niveau du scénario dans cette comédie sentimentale ou le « remariage » est de rigueur) mais traité avec une délicatesse qui m'apparaît de plus en plus comme la « patte » de Leisen.

Délicatesse qui se traduit notamment par une grande marge de liberté accordée aux acteurs (le cinéaste n'hésitait pas à faire réécrire ses dialogues pour que les comédiens soient plus à l'aise avec ceux-ci) qui s'emparent totalement de leur rôle. Marlène Dietrich a, bien évidemment, tourné de plus grands films que celui-ci mais elle est quand même absolument géniale et d'une fantaisie d'autant plus réjouissante qu'on ne la connaît pas forcément très bien dans ce registre.

Elle n'est pas pour rien dans le charme indéniable de cette comédie sans doute mineure mais délicieuse qu'est Madame veut un bébé.

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