Bancs publics (Versailles rive droite) (2008) de et avec Bruno Podalydès et Denis Podalydès, Olivier Gourmet, Pierre Arditi, Chantal Lauby, Claude Rich, Catherine Deneuve, Nicole Garcia, Jean-Pierre Aumont, Didier Bourdon, Elie Seimoun, Bernard Campan, Pascal Légitimus, Chiara Mastroianni, Emmanuelle Devos, Benoît Poelvoorde, Josiane Balasko...



Après deux adaptations farfelues, assez réussies mais quand même un peu anecdotiques de Gaston Leroux (Le mystère de la chambre jaune, le parfum de la dame en noir), Bruno Podalydès revient à la comédie de ses débuts (Versailles rive gauche, Dieu seul me voit) et au style qui fit la singularité de ce cinéaste précieux.

Le titre de ce dernier opus, Bancs publics (Versailles rive droite) ne doit pas nous induire en erreur : il ne s'agit pas d'une suite aux deux films précédemment cités et si l'on retrouve Denis Podalydès dans la distribution, il n'endosse pas à nouveau son rôle d'Albert Jeanjean mais celui d'un modeste employé d'un magasin de bricolage.

En revanche, ce que l'on retrouve avec plaisir, c'est le style Podalydès, mélange de burlesque nonchalant et d'un comique de mœurs plutôt fin, comme un mixte improbable entre Desplechin  et Jacques Tati ou Otar Iosseliani.

Bancs publics est d'abord un casting : affiche impressionnante où le cinéaste est parvenu à rassembler plus de 80 acteurs célèbres venus de tous les horizons du cinéma français : les grandes stars (Deneuve, Garcia, Rich...), la « famille » Desplechin (Amalric, Devos, Mastroianni), le Splendid (Balasko, Lhermitte), les comiques issus de la scène ou de la télévision (les Inconnus au complet, Chantal Lauby, Elie Semoun, Poelvoorde...) et beaucoup d'autres.

On craint alors un peu une structure en « saynètes », où chaque comédien viendrait faire son petit tour de manège et placer son bon mot. Si le film adopte cette structure en carrousel, Podalydès parvient néanmoins à éviter ce travers en intégrant parfaitement chaque comédien à son univers loufoque et légèrement décalé : les apparitions des stars ne semblent jamais des prétextes à des numéros mais se fondent parfaitement dans une structure globale à la fois lâche et précise.

Le film se divise en trois mouvements : le premier est largement consacré au quotidien de trois employées de bureau, le dernier se déroule dans le fameux magasin de bricolage tandis que le mouvement central prend acte dans un square public. La dernière partie est la plus franchement burlesque, celle où Podalydès prend le plus de plaisir à jouer avec les objets et leurs dysfonctionnements et à s'amuser des us et coutumes de indigènes évoluant dans un magasin de bricolage (que ce soit les vendeurs, du fainéant indécrottable au petit chef adepte d'un langage jargonnant, ou bien les clients, du paumé à l'habitué que tout le monde cherche à éviter : splendide Poelvoorde !). Si les gags deviennent véritablement visuels dans cette partie, ils s'appuient davantage sur le langage dans la première où nos trois dames s'ennuient à mourir devant leurs ordinateurs. Je vous recommande en particulier un numéro de Pierre Arditi entièrement construit sur des lapsus qui est à pleurer de rire.

Le morne quotidien de la vie de bureau est cependant troublé par une banderole affichée sur le mur d'en face et qui dit « homme seul ». Qui se cache derrière cette fenêtre ? Un comédien qui veut attirer l'attention ? Un homme désespéré au bord du suicide ? Un « teaser » ?

Cette série d'interrogation qui donnera lieu à une pirouette finale réjouissante va permettre à Podalydès de bâtir un film qui ne va cesser d'osciller entre la franche drôlerie et une certaine mélancolie inquiète. Car ce qui ressort de cette galerie de portraits qu'il nous livre, c'est que chacun essaie de se débattre contre la solitude (des filles qui surfent sur Meetic au boulot jusqu'au dragueur pathétique des squares) et une angoisse diffuse et généralisée (angoisse de la vieillesse -les deux joueurs d'échecs- ou angoisse de ce jeune couple qui protège son bébé sans désormais plus se parler).

D'une certaine manière, c'est encore au Cœurs d'Alain Resnais qu'on songe (c'est Joachim qui voyait dans Fais-moi plaisir ! une certaine filiation avec ce chef-d'œuvre dont on n'a pas fini de découvrir les richesses. Ca me paraît assez juste et ça s'applique également à Podalydès). A revoir tous ces comédiens célèbres, c'est leur « vieillissement » qui m'a le plus frappé (pardon d'être cruel) et ce n'est pas sans une certaine mélancolie (celle du temps qui passe) qu'on les regarde aujourd'hui. Bienheureusement, le cinéaste n'est jamais morbide : il laisse entrevoir des détresses, des failles, des regrets (voir le très beau face à face entre Nicole Garcia et Vincent Elbaz) mais il préfère le parti pris de l'optimisme, à l'instar de Woody Allen (écoutons Aumont et Rich deviser joyeusement de leurs coloscopies en se resservant un petit calva !). C'est ça le talent de Podalydès, parler à la légère de choses graves et d'introduire de la gravité dans la mécanique du rire.

Placé sous les auspices de la célèbres chansons de Brassens qui donne son titre au film, on retrouve dans Bancs publics la même bonhomie bienveillante que celle du chanteur : un mélange de franche rigolade et de mélancolie qui parvient à retrouver de manière assez fine l'épaisseur de la pâte humaine dont nous sommes faits. A ce titre, la partie centrale où se croisent un clochard, une professeur d'anglais, de jeunes mamans dépassées par leurs enfants et lesdits enfants qui refusent de partager leurs secrets avec les adultes (très belle scène) est une petite merveille de finesse et de légèreté.

Après Fais-moi plaisir ! et Les beaux gosses, Bancs publics vient confirmer que 2009 sera, pour moi, l'année de la réconciliation avec la comédie à la française...


 

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