La mouche (1986) de David Cronenberg avec Jeff Goldblum, Geena Davis

 

Je n’avais pas revu ce film depuis très, très longtemps et j’avoue avoir un peu appréhendé cette redécouverte. Car s’il y a bien un film qui a compté dans mon parcours de cinéphile, c’est bien celui-là. C’est sans doute l’un des premiers films que j’ai pu voir tout seul au cinéma (je me souviens encore de mon père craignant que je me trompe de salle et que j’aille voir… Le miraculé de Mocky ou encore des réflexions de certains adolescents qui se demandaient, à voix hautes, si le film n’était pas interdit aux moins de 13 ans – tendre époque où je paraissais encore jeune-). Ce fut également un choc esthétique, à la fois l’un de mes films préférés à l’époque et la prise de conscience que le cinéma fantastique pouvait aussi être l’œuvre d’un « auteur » (même si je ne le formulais pas de cette façon à l’époque). David Cronenberg devint vite mon réalisateur fétiche (il l’est toujours un peu, d’ailleurs) et je découvris avec bonheur ses autres films en vidéo (Videodrome, Scanners, Dead zone).

Quand est-il aujourd’hui, près de 20 ans après la sortie de ce film ? Eh bien même s’il faut avouer que certaines choses ont un tout petit peu vieilli (les coiffures de Jeff Goldblum et de Geena Davis, tout ce qui a trait avec la « technique » et les effets spéciaux…) et qu’il ne s’agit sans doute pas du film le plus renversant plastiquement parlant de Cronenberg (des œuvres glaciales comme Faux-semblants ou Crash seront bien plus maîtrisées) ; la mouche reste, selon moi, un des plus beaux films fantastique de tous les temps.

A l’origine, il s’agit d’un remake d’une série B des années 50 (la mouche noire. Kurt Neumann. 1958) mais Cronenberg dépasse vite le cadre du film du genre pour proposer des prolongements passionnants à sa réflexion sur les mutations de chair et à filer une métaphore toujours actuelle sur la maladie et la dégénérescence organique.

Seth Brundle est un scientifique qui a inventé des machines révolutionnaires permettant la téléportation humaine en désintégrant la matière et en la réintégrant. Après quelques essais plus ou moins concluants, il tente l’expérience sur lui-même. Si la réussite semble parfaite dans un premier temps, Seth et son amie Veronica constatent de curieux effets secondaires (force décuplée du biologiste, poils durs dans le dos…) avant de réaliser qu’une mouche s’était introduite dans la cabine pendant le processus de téléportation et que le corps de Seth est en train de fusionner avec l’organisme de l’insecte…

Si Cronenberg emprunte encore quelques effets au cinéma de genre (les effets de surprises horrifiques comme lors de la première téléportation d’un singe, un goût toujours affiché pour quelques effets « gore » comme dans la scène du bras de fer…), La mouche est d’abord une méditation grave et aboutie sur les avatars de ce qu’il est convenu d’appeler désormais la « nouvelle chair » chère au cinéaste.

Comme beaucoup de savants de films fantastiques, Seth Brundle est mû par un projet prométhéen, celui de vaincre la nature, de dépasser la matière humaine pour la déplacer dans l’espace (et, par extension, dans le temps). Cronenberg cherche alors, d’une façon qui deviendra par la suite de plus en plus clinique, à montrer les bouleversements anatomiques et organiques qu’engendrent ces recherches technico-scientifiques. Il filme un être humain en mutation, capable de se « reproduire » lui-même (Chromosome 3) ou de « fusionner » avec la machine (Videodrome, Crash plus tard). Dans la mouche, le cinéaste suit le long processus de dégénérescence du corps de Seth Brundle. Dans un premier temps, c’est l’euphorie après la réussite de la téléportation : le savant devient extrêmement athlétique et doté d’un appétit sexuel inextinguible (chapeau au cinéaste qui a réussi à révéler un acteur jusqu’alors plutôt mou et peu charismatique Jeff Goldblum, vraiment excellent de bout en bout). Mais le retour de bâton arrive vite et la « maladie » de Seth permet au cinéaste de nous offrir quelques visions saisissantes (et pas toujours très ragoûtantes) de ces mutations de la chair qu’il affectionne. Le fantasme du « surhomme » que représente ce scientifique capable de défier la nature est mis à mal par les dangers que peuvent accompagner ces transformations organiques.

D’une certaine manière, le film anticipe sur tous les débats actuels autour de la bioéthique et des modifications génétiques (quel part de Seth reste-t-il dans le monstre qu’il finit par devenir ? Peut-on toucher sans impunité aux mystères de l’organisme…).

Le film peut également être vu comme une parabole très émouvante sur le développement de la maladie (le film est contemporain des débuts de prise de conscience de la menace du SIDA). A travers le personnage de Veronica (incarnée par la très craquante Geena Davis), le cinéaste renoue avec une certaine tradition du mélodrame et réalise une très belle histoire d’amour que brise la « maladie ». Le côté « fantastique » de l’affaire empêche les grosses ficelles de ce genre d’histoire mais permet aussi à Cronenberg de donner une dimension plus « humaine » à son film (il s’agit toujours de définir chez le cinéaste quelle part de « réalité », d’ « humanité » résiste dans ces mutations organiques et cette évolution vers un monde « virtuel » -Cf. eXistenZ…).

A la fois parfait exercice dans le genre (le film fait sursauter et impressionne souvent) et méditation profonde et poignante sur le devenir de l’homme ; la mouche demeure une sorte de petit chef-d’œuvre dans la filmographie magistrale de Cronenberg…

 

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