Les infortunes de la vertu
Justine de Sade (1972) de Claude Pierson avec Alice Arno
Oyez ! Oyez ! Braves gens ! La chaîne câblée CinéCinéma Auteur nous propose ce mois-ci un cycle consacré au Divin Marquis. Je vous annonce déjà, non sans un certain enthousiasme, que la semaine prochaine sera diffusé l’Eugénie de Jésus Franco, notre maître à tous. Et pour parfaire cette programmation, j’ai la joie de vous annoncer que la chaîne a le bon goût de nous épargner le film de Benoît Jacquot avec Daniel Auteuil. Que du bonheur, vous dis-je ! (Ceci dit, je suis de mauvaise fois car Sade n’est pas un film exécrable ; mais, comme Ma mère de Christophe Honoré, c’est un film faux-cul qui joue la carte de l’adaptation d’un auteur sulfureux pour le parfum de scandale et n’en donne qu’une vision totalement édulcorée).
Revenons à Claude Pierson. Celui-ci fait figure aujourd’hui de pionnier de l’érotisme camembert du début des années 70. Puis, comme ses petits camarades de l’époque, il s’engouffrera dans la brèche du X et fera preuve d’un stakhanovisme frétillant pour débiter (nom madame, ce n’est pas un mot sale !) un nombre incalculable de pornos bas de gamme sous divers pseudonymes (Paul Martin, Andrée Marchand, Caroline Joyce) .Et pour pimenter cette note d’une petite touche personnelle, je vous avouerais le rouge au front n’avoir vu jusqu’à présent qu’une salinguerie soft de notre homme intitulée (re-titrée ?) Passions déchaînées (beau programme, n’est-il pas ?). Non seulement je n’ai plus aucun souvenir de ce film mais je ne sais même plus où, quand et comment j’ai pu le voir ! C’est dire si nous avions affaire à une œuvre marquante !
Justine s’avère tout de suite plus honorable. Pierson reste étonnamment fidèle au texte de Sade et met en scène les aventures désormais célèbres de la pauvre Justine, jeune fille dont l’obstination à ne jamais s’écarter des droits chemins de la vertu la conduira de Charybde en Scylla. Aucun outrage ne sera épargné à la pauvrette qui sera enlevée, battue, violée par l’homme qu’elle aura secouru, brûlée au fer rouge, séquestrée par des moines libertins et j’en passe et des meilleurs.
Ce qui fait le prix du livre, c’est bien entendu son style ; cette écriture merveilleuse que l’on entend au début en voix-off et qui ne se fait jamais réellement oublier. Et c’est également sur des questions de style qu’achoppe ce film qui n’a aucune personnalité, Pierson se contentant de la plus plate des illustrations. Ce n’est pas désagréable car les décors et la photo ne sont pas laids, les actrices non plus et le cinéaste, telle la nounou avec son poupon, montre une telle dextérité à les dénuder promptement qu’il force le respect !
Au moment de sa sortie (en 1973), le critique de La saison cinématographique estimait que le joug d’une censure rétrograde obérait la qualité du film. Aussi répugnante soit cette institution, il me semble que, pour une fois, le problème ne vient pas de là. D’ailleurs, même si Justine n’est pas une œuvre pornographique de Sade (comme peuvent l’être La philosophie dans le boudoir ou Juliette) , il me semble inimaginable de pouvoir adapter littéralement Sade tant sa prose excède les limites de la représentation et de l’imagination. Le même critique évoque une scène coupée et que nous avons pu découvrir dans la version télévisée (enfin, me semble-t-il mais je ne peux rien affirmer, ne connaissant pas la scène originelle). Il s’agit d’une séquence où les moines couchent leurs victimes sur un autel, leur introduisent des hosties là où ma pudeur m’interdit toute description plus explicite et s’empressent de profaner lesdites hosties de la manière la plus douce qui soit lorsque l’on reste dans le cadre d’un acte librement et mutuellement consenti. Cette scène devrait être totalement baroque et s’enflammer au contact du souffre déversé par notre grand seigneur méchant préféré qui n’a jamais épargné son talent lorsqu’il s’agissait d’aller le plus loin possible dans les blasphèmes les plus sacrilèges. Or la séquence est plate comme une pensée de journaliste de magazine féminin. La mise en scène est totalement monocorde et on se surprend alors à verser une petite larmichette en souvenir de l’ébouriffant Le couvent de la bête sacrée de Suzuki où les scènes « sadiques » dans un couvent avaient une autre gueule.
Au vu de la « carrière » de Pierson, on peut sans risque affirmer après deux films vus que Justine restera son meilleur film (le moins pire serait une expression plus adéquate !). Pourtant, tout cela reste très académique et l’érotisme de l’œuvre rappelle la défunte Série rose de FR3 (ah ! Où êtes-vous mes 16 ans !).
On peut jeter un œil à ce bibelot poussiéreux mais mieux vaut se replonger dans l’œuvre de Sade…