Gothika (2003) de Mathieu Kassovitz avec Halle Berry, Pénélope Cruz

 

 

Une des clés du film se situe au moment précis où un veilleur de nuit et ses potes se délectent d’un film d’épouvante sur leur écran et évoquent avec nostalgie la grandeur des séries B des années 50. Je ne sais pas si Kassovitz est un grand cinéphile mais il affiche toujours une véritable affection pour le cinéma de genre (ce n’est pas un reproche, au contraire). Gothika sera donc une série B d’aujourd’hui, l’histoire limite bébête d’une psy (Halle Berry, artistiquement plutôt pas mal et plastiquement satisfaisante) qui se réveille un jour en cellule parce qu’elle a assassiné son mari qu’elle adorait. Comment prouver son innocence ? Telle sera la question à laquelle tentera de répondre ce thriller mal fagoté qui mêle à une traditionnelle enquête policière une bonne louche de paranormal et de satanisme.

 

 

On ne saurait tenir rigueur à Kassovitz le crétinisme de son scénario : des histoires pas beaucoup plus fines d’hommes se transformant en mouche, de singe géant amoureux ou de zombies se faisant mitrailler dans des supermarchés ont donné naissance à de très grands films. Je dirais même qu’a priori, ce type d’histoire nous paraît mille fois plus attractif que les sirupeuses aventures d’écoliers en short montant une chorale (mais je dis ça juste par malveillance !). Seulement voilà, le cinéaste aurait dû se souvenir de la modestie des séries B d’antan et prendre l’exemple sur leur sécheresse d’exécution. Au lieu de quoi, il nous propose un film totalement tape-à-l’œil, boursouflé et dopé à la créatine.

Après une première scène un brin clinquante mais habile et intrigante (un face à face entre Halle Berry et Pénélope Cruz où le cinéaste arrive à rendre chaque changement d’axe invisible) , le film sombre dans un grand n’importe quoi. Kassovitz a réussi à trouver le seul état d’Amérique où il y a un orage chaque soir. C’est sans doute ce climat peu clément qui explique que tous les néons (prisons, institut psychiatrique) sont détraqués et qu’ils ne cessent de grésiller. Pour parler plus clairement, tout le film baigne dans cette ambiance blafarde à base d’atmosphère humide et de flashs lumineux (orages, néons…). Outre l’indigence du lieu commun visuel, c’est d’une effroyable laideur et totalement exaspérant. Le reste est à l’avenant : le découpage est atroce (aucun sens de la spatialisation, abus d’effets chichiteux…), les effets spéciaux et le montage, gangrenés par le numérique, sont aussi effroyables.

 

 

Une fois encore, il n’est pas question de reprocher à Kassovitz son goût pour le cinéma américain. Les influences étaient déjà visibles dans La haine, non seulement dans le style mais également par citation comme dans cette fameuse scène où Vincent Cassel refaisait la scène de De Niro devant son miroir dans Taxi driver. Le problème, c’est qu’il n’y a désormais rien d’autre que des effets grandiloquents et des tics formels. Il est plus que légitime d’apprécier Barton Fink mais lorsque dans Assassin(s), Kassovitz pique des plans aux frères Coen, ça n’a aucun sens et ne répond à aucune nécessité dans la mise en scène. Plus ça va et plus ce cinéaste me fait penser à ces lascars de banlieue se baladant en survêtement de « marque » (je ne peux pas m’empêcher de sourire en accolant les deux mots : c’est tellement grotesque !) en restant persuadés que l’élégance consiste en l’exhibition de signes reconnaissables par les millions de veaux du troupeau qui les portent également ! Déjà on le sentait dans Les rivières pourpres (vraiment pas terrible) mais c’est de plus en plus flagrant avec Gothika : l’Amérique est un vêtement trop grand pour Kassovitz. Du coup, il se contente de singer tous les effets les plus tapageurs des films hollywoodiens à la mode sans jamais parvenir à nous faire oublier que nous sommes face à une contrefaçon et qu’il n’a ni style, ni personnalité, ni point de vue. 

 

 

Résultat : un film foireux qui ne distille aucune émotion (peur, angoisse, horreur…), dénué d’enjeux (que ce soit simplement un pur plaisir de narration) et qui témoigne juste de la fâcheuse tendance d’un cinéaste talentueux (je continue de défendre les deux premiers films de Kassovitz) à ne plus faire autre chose qu’à se regarder filmer…

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