Quills, la plume et le sang (2000) de Philip Kaufman avec Geoffrey Rush, Kate Winslet, Joaquin Phoenix, Michael Caine

 

 

Cela fait déjà un certain temps que le cinéma de Philip Kaufman est travaillé par la littérature. Après une adaptation de Kundera (l’insoutenable légèreté de l’être) et d’Anaïs Nin (le désastreux Henry et June), le voilà qui met en scène le marquis de Sade, figure littéraire toujours propice à nourrir de nombreux fantasmes chez les cinéastes tout en attirant également les clichés les plus éculés comme la charogne les mouches à viande.

La première scène est parfaitement réussie. On y voit une jeune femme qui gémit sous les mains d’un homme tandis que la voix-off détaille les beautés de la douleur dans la volupté. Lorsque les mains dégrafent la robe de la gente dame, nous sommes persuadés d’assister à une scène « sadique », peut-être même une traduction visuelle d’un passage de roman. Puis le champ s’élargit et nous constatons que ces mains appartiennent à un bourreau qui conduit sans ménagement une prisonnière à l’échafaud. On se dit alors que Kaufman a compris quelque chose de Sade (rappelons qu’après avoir été embastillé sous l’Ancien Régime, Sade fut condamné par les révolutionnaires pour « modérantisme » lorsqu’il s’opposa catégoriquement à la peine de mort) et qu’il va nous offrir un point de vue fort sur le personnage (en gros, ce ne sont pas l’écrivain et la littérature qui sont « sadiques » et  « criminelles » mais bel et bien les hommes qui orchestrent la société et le pouvoir).

 

 

Nous croisons donc la route du Divin Marquis alors qu’il est (une fois de plus) tenu prisonnier à Charenton. L’homme peut cependant écrire et faire publier ses romans grâce à une jolie lingère (Kate Winslet) qui lui sert de relais. Il peut même faire jouer ses pièces en recourant aux services des autres pensionnaires de l’asile. Tandis qu’un cureton débonnaire (J.Phoenix) fait preuve d’une certaine sollicitude pour l’écrivain et tente en vain de le remettre sur le droit chemin, un nouveau directeur (M.Caine) impose une stricte discipline et veut faire taire à tout prix son sulfureux client.

On pourra se gausser des invraisemblances historiques du film (Justine, datant de 1791, a été publié bien avant l’internement à Charenton et les passages lus dans le film ne ressemblent guère à la prose que je connais de Sade) ; mais vous me direz, et vous aurez raison, qu’on ne va pas au cinéma pour se voir asséner des cours d’histoire littéraire. Soit ! Pourquoi alors convoquer la figure de Sade ?

Kaufman a effectivement un point de vue sur l’écrivain en général mais aucun sur l’auteur en particulier et c’est là où, à mon sens, le bât blesse.

 

 

D’une part, le film aurait pu se concentrer de la même manière sur une figure littéraire moins importante ou même totalement insignifiante (Paul Valéry, Alexandre Jardin, Bernard Henri-Lévy…) sans que le propos en pâtisse le moins du monde. D’autre part, ledit propos m’a semblé très pauvre, se limitant à :

  1. l’écriture est une catharsis qui peut guérir les esprits dérangés (Sade étant toujours considéré comme un fou dangereux et son œuvre comme une purge, sans jamais que soit évoqué le formidable abîme qu’est son œuvre)
  2. Un écrivain ne peut se passer d’écrire et doit pouvoir assouvir cette passion monomaniaque (privé de plume et d’encre, le marquis écrit d’abord avec du vin (sur un drap), avec son sang (sur ses vêtements) puis avec ses excréments (sur les murs).

 

 

Dans le même genre d’idée, si Kaufman montre dans un premier temps que les fictions de Sade sont moins cruelles que la réalité, il finit quand même par lui faire porter la responsabilité d’un meurtre (idée simpliste, bébête et élitiste : « oui, la représentation de la violence n’a pas d’effet sur ceux qui peuvent prendre de la distance et la comprendre mais elle peut quand même perturber les plus « simples » et les pousser à imiter réellement les horreurs décrites »).

Finalement, on finit par comprendre que le vrai « héros » du film est ce ratichon Bataillo-Bernanosien (Phoenix est parfait dans le rôle), perturbé par les affres du désir et soumis aux tiraillements de la tentation de la chair. D’un côté, il soutient la création littéraire comme manière de se débarrasser de ses « mauvais instincts » mais, de l’autre, il comprend le danger d’un art jetant le trouble dans les esprits (la jeune ingénue, mariée contre son gré, qui devient suite à une lecture interdite, une véritable délurée).

 

 

Tout cela n’est pas très intéressant et ne se traduit pas non plus par un point de vue cinématographique fort. La mise en scène n’est pas nulle mais, à quelques séquences prêt (une très belle scène onirico-nécrophile), je la trouve quelconque, sans réelle inventivité. Kaufman semble parfois lorgner du côté du Ken Russell des Diables mais on en est très loin et je ne vois aucune folie baroque dans Quills.

Grosse déception pour un film que j’abordais avec les meilleures dispositions.

 

 

N.B. Un point positif à l’actif du film, l’interprétation. Du cabotin Rush au glacial et génial Caine en passant par la pataraboumante Kate Winslet, les acteurs sont tous très bons et forcent l’intérêt pendant les deux heures de projection/diffusion.

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