Lost in la Mancha (2001) de Keith Fulton et Louis Pepe

 

 

Terry Gilliam portait le projet en lui depuis plus de 10 ans : réaliser son adaptation de Don Quichotte, œuvre sur laquelle avait déjà buté autrefois Orson Welles1. Tout était prêt : le casting (Jean Rochefort, Johnny Depp, Vanessa Paradis…), les costumes, les décors naturels… Et tout cela va tourner au plus épouvantable des fiascos, empêchant à jamais ( ?) la réalisation du film.

Lost in la Mancha retrace les grandes lignes de ce périple qui va virer au cauchemar. A priori, la facture conventionnelle de ce « making-off » ne diffère guère de la masse des docucus de tournage qui fleurissent désormais tout azimut pour ornementer les cases bonus des DVD. Et pourtant, le documentaire de Fulton et Pepe va vite se révéler passionnant, moins par sa mise en scène que par le sujet qu’il illustre.

 

 

Première chose : le documentaire met assez bien en lumière l’immense machinerie que doit mettre en branle un créateur pour accoucher de ses rêves les plus fous. Dès le départ, on sent un fatum qui pèse sur l’entreprise. Budget serré, ne laissant aucune place à l’erreur ; délais impossibles, difficulté du cinéaste pour rassembler les acteurs et commencer les répétitions… Le film, en faisant appel à des techniciens et comédiens venant de toutes les parties du globe, prend vite l’allure d’une immense galère où le capitaine peine à rameuter tout son équipage. Se profile alors pour Gilliam l’ombre d’un souvenir cuisant : le cauchemar que représenta pour lui Les aventures du baron de Münchhausen et ses dépassements budgétaires.

Lost in la Mancha devient alors le portrait d’un cinéaste en Don Quichotte, les mésaventures d’un enfant visionnaire qui se heurte sans arrêt aux moulins de la réalité. Le parallèle est étonnant et il faut voir Gilliam dans ce film, passant d’un mélange d’énergie et d’enthousiasme enfantin à la plus cruelle des désillusions, mâchoires crispées et larmes aux yeux.

 

 

La deuxième chose qui passionne et sidère à la fois, c’est cette manière qu’a eu le sort de s’acharner contre l’entreprise. Outre un montage financier ric-rac et un travail en amont réalisé dans l’urgence, les premiers jours de tournage vont se trouver placés sous le signe de la poisse la plus invraisemblable. Après avoir été dérangé par les avions, c’est un orage et des trombes d’eau qui contraignent l’équipe à plier bagage. Outre les dégâts matériels, ce déluge a totalement modifié l’aspect d’un décor censé être désertique et empêche désormais de raccorder de nouveaux plans avec ceux déjà tournés.

Puis c’est au tour de Jean Rochefort (qui avait appris l’anglais pendant 7 mois pour le rôle) d’être victime d’une double hernie discale, lui interdisant de monter à cheval ! Au bout d’une semaine, le tournage est arrêté et ne reprendra plus, les droits du film passant ensuite aux mains des assureurs. De l’homme qui tua Don Quichotte, il ne reste que quelques plans à faire rêver tous les cinéphiles du monde (Gilliam tenait là un sujet en or pour laisser libre-cours à ses visions les plus délirantes) et l’impression d’un immense gâchis.

 

 

Le montage de Fulton et Pepe est intelligent, retraçant à la manière d’un journal de bord le naufrage tout en instaurant d’emblée ce sentiment que la fatalité était de la partie et qu’elle finirait par tout balayer. Le regard sur les coulisses d’un film se transforme alors en tragédie où un artiste bute, s’écroule face à la réalité et doit renoncer à ses songes.

On se réjouira donc que Gilliam ait pu se ressaisir (en signant notamment le beau Tideland) et rebondir après cet amer échec dont il ne restera désormais plus que le passionnant récit qu’en ont tiré Fulton et Pepe…

 

 



1 Il existe toutefois un montage, signé Jésus Franco !, de ce film resté inachevé…

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