La faute au naturalisme
La faute à Voltaire (2000) d’Abdellatif Kéchiche avec Sami Bouajila, Elodie Bouchez, Aure Atika, Bruno Lochet
J’ai beaucoup défendu l’esquive et ce n’est donc pas sans une certaine curiosité que j’attendais de découvrir le premier film d’Abdellatif Kéchiche. La faute à Voltaire témoigne assez rapidement que le cinéaste n’est pas un grand styliste tant sa manière de filmer est, au mieux, banale ; au pire, indigente. Il ne s’agit pas ici de remettre en cause la réussite de son deuxième long-métrage mais se souvenir que l’esquive ne fonctionnait pas non plus sur le style mais sur une manière assez remarquable de travailler le langage, les corps et leur énergie. Lorsqu’on enlève ça, il reste La faute à Voltaire et, franchement, ce n’est pas grand chose.
Un jeune homme tunisien (Bouajila) débarque à Paris et tente d’obtenir des papiers pour trouver du travail et envoyer de l’argent à sa famille au pays. Il rencontre assez rapidement une jolie serveuse (Aure Atika) dont il s’amourache et avec qui il désire se marier (même si la cérémonie a un côté mariage blanc)…
Kéchiche pèche par deux côtés. Primo, nous voilà à nouveau dans le registre naturaliste, celui de la petite chronique réaliste qui ne rend compte d’aucune réalité tant l’absence de style empêche le film de s’élever au-dessus de petites descriptions parcimonieuses forcément tronquées de ce que peut-être le Réel. Alors on ne dépasse pas le lieu-commun sociologique (notre héros est un immigré sans papiers) et le folklore de la galère (la fille-mère, le foyer, la jeune femme « border-line »…). On ne croit pas une minute à ce personnage et à sa facilité à s’intégrer à son nouveau milieu : il trouve d’emblée des fruits et légumes à vendre dans le métro, tout son entourage est accueillant… On sait gré à Kéchiche d’éviter le misérabilisme propre au sujet (le racisme, la violence, l’exclusion, blabla…) mais son film n’est pas plus crédible. Il se limite, et c’est là mon deuxième grief, à une succession de coups de force du scénario assez artificiels : que ce soit la rencontre avec cette serveuse, ce mariage foireux où elle disparaît subitement, ce séjour à l’asile ou la rencontre avec la jeune paumée (Elodie Bouchez). Difficile de croire à ces virements de cap qui s’étirent pendant plus de deux heures (le film est trop long) et qui ne sont jamais pensés en terme de mise en scène, toujours grisâtre et terne. Les personnages sont dans le champ, pas forcément bien cadrés et on se contente de ça. C’est un peu juste même si les acteurs sont plutôt biens. Là encore, il faut distinguer et je dérogerais pour une fois à la règle qui tend à me faire pâmer plus facilement devant les membres du beau sexe. Pour une fois, je préfère la performance des acteurs. Sami Bouajila est vraiment très bien : il parvient à imposer une présence très charismatique tout en jouant le retrait et la retenue. Bruno Lochet, en second rôle, est également épatant. Après La fin du règne animal, c’est le deuxième film où il brise sa carcasse de Deschiens et se révèle très doué pour jouer d’autres registres.
Côté fille, je suis un peu plus gêné. Aure Atika est plutôt pas mal mais l’actrice m’est assez antipathique et ça déteint sur mon jugement. Inversement, j’aime énormément Elodie Bouchez que je considère comme l’une des toutes meilleures jeunes actrices françaises. Par contre, j’ai horreur des comédiens qui jouent la folie ou la névrose. Là, ma douce Elodie que j’aime, permettez-moi de vous dire que vous en faîtes beaucoup trop et que vous finissez par devenir agaçante. Sauf sur la fin, mais, là, c’est tout le film qui devient meilleur.
Curieusement, un quart d’heure avant de conclure, Kéchiche oublie enfin les grosses ficelles de son scénario et se contente de filmer les gens, les corps et une certaine ambiance festive. Avec une très belle partie de pétanque puis un petit concert grisant (une version rock de Pauvre Margot de Brassens), le cinéaste montre qu’il sait aussi très bien filmer le peuple, à la manière de Guédiguian dans ses meilleurs moments. Le film devient alors très chaleureux, très vivant et trouve enfin son incarnation (les personnages ne sont plus des types tracés au marqueur de la sociologie). Les deux plans finaux, très secs sans être démonstratifs, sont aussi très biens.
Ce dernier quart d’heure ne suffit pas, selon moi, à sauver la faute à Voltaire d’une certaine platitude mais il laisse deviner un certain talent chez ce cinéaste. Et c’est ce talent là qu’on retrouvera par la suite dans l’esquive…