Le grand appartement (2006) de Pascal Thomas avec Laetitia Casta, Pierre Arditi, Mathieu Amalric, Jean-François Balmer

 

 

Cela faisait longtemps que je n’étais pas retourné dans les salles obscures. Et dans la mesure où les sorties récentes n’ont rien de réjouissant, j’ai décidé de commencer 2007 en liquidant les films manqués à la fin de l’année 2006. Parmi ceux-là, le dernier opus de Pascal Thomas.

Pascal Thomas est quelqu’un qui m’est très sympathique. Je ne le connais pas personnellement mais, en voyant ses films, je me dis que c’est quelqu’un qui doit gagner à être connu et avec qui il ne doit pas être difficile de s’entendre, au vue de ses centres d’intérêts (les jolies filles, le vieux cinoche, un certain art de vivre axé autour de la liberté et la solidarité…).

Il fait également partie de ces cinéastes précieux qui, à l’instar de Vecchiali ou Mocky, ne « débandent » pas et persistent à croire en un cinéma de genre à la française pouvant se permettre d’être « cruels et impitoyables pour tous les souteneurs de l’Ordre dominant » [Jules Celma]. Alors certes, que ce soit dit tout de suite, le grand appartement est un peu foutraque, pas toujours très maîtrisé au niveau du récit et sans grande invention formelle. En deux mots, ce n’est pas un film qui fait « avancer le cinéma » (la belle affaire !) mais il y a dans cette comédie de guingois suffisamment d’utopie, d’hédonisme, de malice satirique et de bonne humeur pour la propulser à mille lieues de toutes les saloperies pseudo-comiques formatées pour (et par) la télévision !

 

 

C’est l’histoire d’une petite tribu qui vit dans un 300 mètres carrés dans le 7ème arrondissement au grand dam d’affreux propriétaires qui aimeraient expulser ces individus protégés par la loi de 1948 (la seule loi juste en matière d’immobilier, plafonnant les loyers afin d’éviter les spéculations éhontées) pour pouvoir louer leur bien au prix fort. Outre une famille « classique » (un couple incarné par Casta et Amalric et leur petite fille), on croise dans ce délicieux phalanstère une petite grand-mère qui commence à perdre la boule, un ami cinéaste (grandiose Pierre Arditi) qui ne cesse de ramener des petites-amies, la sœur neurasthénique de Martin/Amalric et la sœur adoptive de Francesca/Casta qui squatte toujours avec deux ou trois copines !

C’est donc ce petit monde que Pascal Thomas se propose de faire vivre à l’écran et il y parvient plutôt bien. A la tête de la tribu, il y a d’abord Francesca qui mène sa barque pour défendre ses droits de locataire Cette quête va permettre au cinéaste de s’en donner à cœur-joie pour taper sur tous les affreux qui nous pourrissent la vie : les propriétaires-spéculateurs, les promoteurs immobiliers, les avocats véreux et convertis à la « loi du marché », les huissiers, les banquiers (savoureux numéro de Jean-François Balmer) et…les esthéticiennes (bon, ok, pas directement mais béni soit le nom de Pascal Thomas qui, par son éloge de la pilosité féminine, nous venge de cet abject terrorisme esthétique actuel qui veut que pour être belle, une femme doive ressembler obligatoirement à une actrice porno ou à une hideuse poupée lisse et aseptisée !).

Une bonne bise libertaire parcourt ce film pour nous rafraîchir les méninges. On y conchie le règne du fric et du profit, de ces banques et atroces boutiques de luxe qui ont défiguré les quartiers centraux des villes (plus de bistrots, de cinémas…). On y exalte l’art, la poésie et un certain art de vivre. Ca fera grincer les dents des cyniques mais je trouve le résultat assez revigorant d’autant plus que Thomas évite le côté « nostalgique » d’une Amélie Poulain et d’un Paris fantasmé. Ici, on est plus du côté du Capra et de son merveilleux Vous ne l’emporterez pas avec vous (étrange que personne n’ait cité ce film !) car les personnages sont vivants et combatifs, à l’image d’Arditi, double du cinéaste Jacques Rozier (un des plus grand cinéaste français que le système empêche absolument de tourner), qui transforme l’appartement en studio de cinéma pour un bel hommage à Renoir et à son French cancan.

 

 

Le résultat est, je le redis, très plaisant. Les acteurs sont très bons (une pléiade de seconds rôles savoureux qui se délectent à jouer les affreux piliers de la « bonne société ») et leur plaisir de jouer est communicatif. La révélation, c’est sans doute la belle Laetitia Casta que je n’avais vue, jusqu’à présent, que dans le médiocre film de Ruiz Les âmes fortes (un des rares ratages du grand cinéaste chilien). Pascal Thomas l’extirpe ici de son « milieu » d’origine (la top-modèle lisse et insipide)  pour en faire une figure populaire à la Silvana Mangano: une femme exubérante, sensuelle et charnelle. La greffe est réussie : elle est à croquer ! Entouré par un Amalric très à l’aise dans son contre-emploi et un Arditi impérial en séducteur de maraîchères ; elle donne tout son sel à cette comédie piquante et joyeusement irrévérencieuse…

 

 

 

 

 

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