Mulholland drive (2001) de David Lynch avec Naomi Watts, Laura Elena Harring

 

 

 

 

 

Si la lassitude de tenir ce journal virtuel ne m’a pas gagné d’ici là; il est probable qu’en 2010, me connaissant, je vous livrerais mon classement des meilleurs films des années 2000. Et sans présager de ce que seront les trois années qui vont venir, je peux pratiquement déjà vous annoncer que Mulholland drive a toutes les chances d’arriver en tête de ce classement tant chaque nouvelle vision du chef-d’œuvre de Lynch me remplit d’admiration et de stupéfaction. C’est dire également si je vais avoir du mal à vous en parler tant je crains que mes mots soient pauvres et banals à côté du film. J’ai dans un premier temps failli y renoncer puis ai opté pour quelques banalités de base.

 

 

 

 

 

A l’origine, Mulholland drive devait être le pilote d’une série télé que le cinéaste aurait initié, un peu à la manière de ce qu’il fit avec Twin Peaks. Mais si la télévision osait produire des objets originaux, inventifs et non-conventionnels, ça se saurait ! Résultat : le projet a capoté et la série est devenue un film. C’est d’ailleurs dans la manière dont Lynch s’est tiré de ses contraintes qu’il impressionne le plus. Il est facile de voir que le film s’ouvre sur une multitude de pistes narratives (la brune amnésique, la blonde qui veut percer à Hollywood, le récit d’une scène onirique, les vicissitudes d’un cinéaste à Hollywood, un casse mystérieux qui tourne mal…) et qu’il s’annonce comme quelque chose de très ouvert, fait pour la prolifération télévisuelle. Or avec tous ces éléments disparates, Lynch opère un véritable tour de force pour  retomber sur ses pieds dans les limites d’un film et arriver à offrir quelque chose au spectateur de totalement organique, qui ne donne jamais l’impression d’artificialité. On retrouve la structure en « ruban de Möbius » qu’il avait déjà expérimentée avec le non-moins génial Lost highway : l’impression d’être resté toujours du même côté de la surface du récit mais qu’il a pourtant décrit une boucle, que quelque chose s’est renversé en son sein même (la blonde devient la brune et vice-versa). Tous les éléments du film semblent se répondre et trouver leur place dans une logique mais cette logique n’est pas la nôtre. C’est cette logique fantasmatique interne qui a donné lieu à toutes les interprétations qu’a suscitées le film : schizophrénie du personnage de Betty/ Diane (Naomi Watts) ? Vie rêvée d’une petite provinciale voulant réussir à Hollywood ? Fantasme du grand amour ? A vrai dire, je ne pense pas que l’intérêt du film réside dans le fait de mettre à plat ses secrets. Au contraire, la jouissance qu’il procure vient également de ses zones d’ombres, de ses mystères impénétrables (qui est ce fabuleux cow-boy ?)

 

 

 

 

 

Pour moi, il y a TOUT le cinéma dans Mulholland drive :

 

 

 

 

 

C’est d’abord un thriller où une jeune femme brune, menacée par des hommes patibulaires, cherche à retrouver l’identité qu’elle a perdue avec sa mémoire. Lynch joue sur les codes du polar hitchcockien en multipliant les « Mac Guffin » : les billets de banques dans le sac de Rita, la clé bleue, une boite de la même couleur ; et déploie la splendeur de sa mise en scène autour de ce fil conducteur.

 

 

Mais c’est également un film fantastique, peuplé de créatures inquiétantes (qui est cet homme qui semble imposer sa volonté aux studios hollywoodiens ?) et qui n’hésite pas à jouer la carte de l’onirisme (cette fabuleuse scène du début où un homme qu’on ne connaît pas raconte son rêve).

 

 

C’est un grand film initiatique, le récit de l’apprentissage d’une jeune comédienne naïve et pleine d’illusions sur les métiers du cinéma (ah ! Les grands yeux ébahis de Naomi Watts lorsqu’elle découvre pour la première fois Hollywood !). De cet aspect du film, on retiendra une mémorable scène de casting entre Betty et un bellâtre vieillissant (c’est drôle, à propos de ce film, j’ai plus envie de citer les scènes que de les désosser !)

 

 

C’est aussi une fabuleuse satire du milieu du cinéma, règne impitoyable de la pègre et d’une mafia qui contrôle tout, jusqu’au moindre mouvement du pauvre réalisateur qui se croyait maître de son projet. A son habitude (qu’on se souvienne du merveilleux Blue velvet), Lynch filme l’envers du décor tout en restant à la surface des choses. Tous ces individus qui semblent tirer les ficelles restent des silhouettes inquiétantes mais jamais on ne sombre dans les clichés glauques et « trash » (du genre : sexe, drogue et rock’n’roll). Là encore, Lynch parvient à dépasser la surface des apparences avec une ironie goguenarde et à nous offrir une vision très mordante d’un monde où l’artiste est totalement nié.

 

 

 

 

 

Plus curieusement, Mulholland drive est également une comédie burlesque, un film parfois très drôle lorsqu’il s’agit de montrer les déboires dudit cinéaste avec sa femme ou de cette dernière avec un impressionnant « gorille » ; ou encore dans ce casse absurde où un jeune homme tente de récupérer des documents et où les catastrophes s’accumulent selon le principe de la réaction en chaîne (une balle part par inadvertance et va se loger dans le ventre d’une femme de ménage à travers un mur…).

 

 

 

 

 

C’est également un grand film érotique (ce n’est pas moi qui le dit mais vous) où le temps de deux scènes de lit mémorables (quoique très soft), Lynch arrive à irriguer son film d’une sensualité trouble et vénéneuse. Les actrices, fabuleuses toutes deux, ne sont pas pour rien dans le charme que distille ce film.

 

 

 

 

 

Enfin (surtout ?) : Mulholland drive est un somptueux mélodrame, une histoire d’amour entre deux femmes qui ne peut que finir mal. Par quel bout commence cette passion amoureuse ? Peu importe : toujours est-il que comme dans beaucoup de relations amoureuses, il y a un dupé dont les sentiments ne sont pas partagés. Les regards que Diane lance à Camilla sont tout simplement déchirants et dévoilent un Lynch beaucoup plus sentimental que le veut la légende (quoique Sailor et Lula était déjà un grand film d’amour fou).

 

 

 

 

 

Lynch parvient donc à convoquer le temps d’un film tout le cinéma et pourtant, tout cela n’est QUE du cinéma, comme le prouve la scène magnifique du théâtre où un orateur annonce que tout ce qui va être montré n’est qu’une illusion. Nos vies, nos amours ne seraient qu’illusions ? Le film ne le dit pas et ça n’a pas d’importance. Il faudrait parler, bien entendu, de cinéma, de cette mise en scène qui nous offre dix idées par scène et une par plan mais cette note deviendrait alors une succession de superlatifs. Alors chut ! Revoyez Mulholland drive ! Laissez vous porter par cette expérience unique. Et comme il est dit dans le film :

 

 

Silenzio…
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