Zombie (Dawn of the dead) (1978) de George.A.Romero

 

 

 

Deuxième volet de la tétralogie des morts-vivants de Romero, Zombie déclencha les foudres de la censure giscardienne et ne put sortir sur nos écrans qu’en 1983. Ces démêlées ne s’arrêtèrent pas là puisque la version que nous avions coutume de voir était la version « européenne », remontée par Dario Argento et légèrement différente de l’originale de Romero. Justice est faite puisque le coffret qu’on m’a offert propose maintenant les deux versions et qu’il nous est désormais loisible de découvrir la mouture « final cut » de ce film mythique (pour être franc, je n’ai pas senti une énorme différence !)

Tel qu’il se présente à nous, Zombie est moins une suite de la nuit des morts-vivants qu’un remake en couleurs. Nous retrouvons la situation initiale du film originel : un petit groupe de rescapés (dont un Noir et une femme) tente d’échapper à une invasion de morts-vivants. Aucune explication ne sera donnée à ce phénomène macabre et nous retrouverons la même volonté d’un groupe humain de soutenir un siège de zombies dans un lieu clos.

Résumer de cette manière le film laisse entrevoir l’écueil auquel risquait de se heurter Romero : celui de la redite où il se serait contenter de jouer la carte de la surenchère (la couleur, plus de sang, plus d’effets spéciaux concoctés par le grand Tom Savini). Or le génie du cinéaste, c’est d’avoir su adapter les enjeux de sa saga à leurs époques respectives. Nous avions vu que Land of the dead (le dernier film en date de la série) était une fulgurante satire de la politique de Bush. Idem pour Le jour des morts-vivants (dont nous parlerons prochainement), pamphlet antimilitariste craché à la face de l’Amérique reaganienne.

Zombie s’inscrit pleinement dans son époque. Alors que La nuit des morts-vivants était traversé par les échos des combats de la fin des années 60 (le Viêt-Nam, la lutte pour les droits civiques des Noirs…) ; Zombie témoigne à sa manière du reflux des idéologies et du triomphe sordide du capitalisme.

L’idée géniale de ce film, que tout le monde connaît désormais, c’est d’avoir situé cette histoire dans le décor d’un immense centre-commercial. Lorsque l’un des rescapés demande à son compagnon d’infortune qui sont tous ces morts-vivants, celui rétorque sans hésiter : « c’est nous ». Effectivement, cette masse de zombies déambulant dans les artères de ce grand magasin ne paraît pas sensiblement plus hébétée que la masse des consommateurs qui se précipitent faire leurs achats en période de soldes (ou non !). Zombie, qu’on le veuille ou non, est un virulent pamphlet contre cette société de consommation qui fait de chaque individu un spectateur inerte de la marchandise, un être réifié dont ne subsiste que quelques réflexes conditionnés. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que Romero ait montré cette réification au sein même du groupe de rescapé, comme le montre cette très belle scène où le couple se déchire parce que la femme veut éteindre la télé tandis que l’homme la rallume. « Que sommes-nous devenus ? » demande-t-elle, constatant le pathétique tableau d’un couple n’ayant plus rien à se dire et se contentant de contempler un écran de télé vide !

 

 

« La société de l’abondance trouve sa réponse naturelle dans le pillage, mais elle n’était aucunement abondance naturelle et humaine, elle était abondance de marchandises. Et le pillage, qui fait instantanément s’effondrer la marchandise en tant que telle, montre aussi l’ultima ratio de la marchandise : la force, la police et les autres détachements spécialisés qui possèdent dans l’Etat le monopole de la violence armée. » [Guy Debord].  Romero illustre parfaitement ce passage en filmant avec une certaine jubilation anarchiste ses rescapés se livrant aux joies du pillage et se réappropriant les objets de la consommation pour soutenir leur siège (« par le vol et le cadeau, ils retrouvent un usage qui, aussitôt, dément la rationalité oppressive de la marchandise, qui fait apparaître ses relations et sa fabrication même comme arbitraires et non nécessaires » [Debord] ). D’un autre côté, le cinéaste montre également les forces de la société comme potentiellement aussi dangereuses (si ce n’est plus !) que ces malheureux morts-vivants. C’est le sens de ces effrayantes scènes du début où des flics bas du front jubilent à tirer dans le tas et où le cinéaste prend bien soin de montrer ces morts-vivants comme l’image des exclus d’un système (les nègres, les portos-ricains…)  

 

 

Zombie est un grand film nihiliste. Parfois, la bande-son laisse entendre une sorte de chant tribal. Ce que filme Romero, c’est le stade ultime du capitalisme : le retour à la sauvagerie et la lutte perpétuelle pour sa survie. Dans ce tableau apocalyptique de nos sociétés post-industrielles évoluent effectivement des bandes armées (des « blousons noirs ») qui vivent désormais de la destruction. On comprend que la scène qu’où ces hell’s angels font un carton sur les pauvres morts-vivants ait pu choquer : le miroir tendu par Romero est trop grinçant pour une société se démenant désormais pour faire accréditer que sa fuite en avant est désormais le seul espoir valable !

 

 

En sus de l’acuité rageuse du cinéaste, il faudrait évidemment mentionner les immenses qualités formelles du film : un cadre toujours inventif, cette manière d’utiliser à merveille l’espace du grand magasin (les longs couloirs vides, les escalators, les cages d’ascenseur…), de jouer sur le trop-plein (ces plans aériens saisissants d’une humanité déambulant comme un somnambule sur les parkings des supermarchés) et le vide de certains espaces (ceux mentionnés plus haut).

 

 

Zombie est un film d’un rare pessimisme et d’une noirceur folle (on tire quand même sur des enfants, ce qui nous console d’un siècle de sensiblerie gluante dès qu’il s’agit de mettre en scène de sales mioches !). Classique du cinéma gore (ça saigne pas mal !), c’est tout simplement un très grand film !

 

 

 

 

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