La vie amoureuse de l'homme invisible
Orloff et l’homme invisible (1971) de Pierre Chevalier avec Howard Vernon
Quoi de plus logique en somme que de fêter nos retrouvailles en évoquant ici les aventures du mythique disciple d’Hippocrate à qui j’ai honteusement extorqué le patronyme pour rédiger ces notes ? Nous retrouvons donc, sous les traits du grand Howard Vernon, le grand savant fou dont le nom gagne ou perd un « f » au fil du temps. Faut dire que les « f » sont baladeurs chez Eurociné (je vois les connaisseurs qui salivent), tout comme les titres des films puisque celui-ci est d’abord sorti sous une bannière beaucoup plus explicite : la vie amoureuse de l’homme invisible (tout un programme !).
Au commande, Pierre Chevalier, roi du nanar comique dans les années 60 (beaucoup de films avec Fernand Reynaud), converti comme ses confrères aux polissonneries plus ou moins osées pendant les années 70 (Les hommes de joie, sous le pseudonyme de Chantal Calvanti). Mais c’est lorsqu’ils abordent le fantastique que les ténors de la série Z à la française donnent la pleine mesure de leur brio. A ce titre, Orloff et l’homme invisible mérite sa place au panthéon des ringardises surréalistes aux côtés de l’abîme des morts-vivants (J.Franco), du Lac des morts-vivants (J.Rollin) ou de la revanche des mortes-vivantes (P.B.Reinhardt)
Prévenu qu’un malade a besoin de lui là-bas, un brave médecin tente de se rendre au château du professeur Orloff. En entendant ce nom, les portes des villageois se ferment, les conversations cessent dans les cafés et notre praticien a bien du mal à se rendre sur les lieux. Chevalier connaît les classiques du cinéma d’épouvante mais il filme ça à la spartiate (lorsqu’il filme une voiture à cheval sur un chemin forestier, il commence le plan alors qu’elle entre au loin dans le champ et le coupe seulement lorsqu’elle en sort : c’est interminable !) et le spectateur se demande s’il arrivera un jour au manoir.
Arrivé sur les lieux, ça devient plus drôle lorsque notre héros entame une conversation avec un domestique :
« -Il y a un malade ici ?
-Je ne sais pas.
-A qui faut-il s’adresser pour le savoir ?
-A moi !
-Eh bien, c’est ce que je fais, je crois. Et où est ton maître ?
-Quel maître ? »
Vous constaterez que c’est du costaud ! La plupart des dialogues sont de cet acabit et le cinéaste ne se départit jamais de sa rigueur toute straubienne pour les mettre en scène (plans fixes interminables, personnages hiératiques…)
Arrive enfin le professeur Orloff qui explique au praticien qu’en « modifiant les chromosomes d’un anthropoïde sur des chromosomes humains », il a « agi sur le cérébral » (rien que ça !). Bref, il a créé un homme invisible, prolégomènes à une nouvelle race destinée à supplanter l’espèce humaine !
A vrai dire, ce qui nous intéresse, c’est que ladite créature invisible s’avère foutrement libidineuse et permet à Chevalier de réaliser une scène d’anthologie pour tous les amateurs de cinéma bis : le viol de la servante. Ineffable moment où la petite actrice se tortille à poil sur le sol en mimant la terreur tandis que la caméra zoome intempestivement sur son visage : on appelle cela la suggestion…
Tout est de ce tonneau (Chevalier a seulement trois actrices mais il parvient à les déshabiller entièrement sans discrimination. Cette exigence force le respect !) : dialogues dadaïstes, comédiens approximatifs, mise en scène bricolée avec les moyens du bord (Ah ! ce zoom sur un mur pour suggérer qu’il s’apprête à écraser le docteur !).
La fin est également très drôle puisqu’on découvre que cet homme invisible est une espèce de gorille agressif. Chevalier suggère qu’il est parvenu à s’enfuir mais visiblement, tout le monde s’en fout et le métrage s’achève sur des sourires.
Il était temps !