Octobre (1927) de Sergueï M. Eisenstein,

La grève (1924) de Sergueï M. Eisenstein

   

 

 

Que vais-je pouvoir ajouter aux précédentes notes que j’ai déjà consacrées à Eisenstein ? Va-t-il falloir que je vous serve une fois de plus le couplet de la dichotomie que j’opère entre l’artiste, l’inventeur d’une forme incroyablement expressive et novatrice et l’idéologue totalement affilié à la ligne générale du parti, oeuvrant dans un strict but de propagande ?

Tourné en 1927 pour fêter les 10 ans de la Révolution, Octobre est une vaste fresque qui retrace les principaux évènements de 17 : la révolution de février et la prise du pouvoir par la bourgeoisie, la colère du peuple qui gronde sous les effets de la famine et de la répression, enfin, le triomphe du prolétariat en octobre (je me place ici du point de vue du film puisqu’il est évident que, très vite, octobre 17 marquera surtout les débuts de la « dictature du secrétariat » [Souvarine])

Eisenstein a eu ici les moyens de ses ambitions et Octobre frappe d’abord par son caractère de superproduction monumentale. Le cinéaste reconstitue les évènements de 1917 avec une ampleur assez époustouflante, qui culmine d’ailleurs dans les nombreuses scènes de foule qui rythment le film (les émeutes de février, la prise du Palais d’Hiver de Petrograd…).

Plus que la vérité historique du film, somme toute assez douteuse (nous sommes dans la plus pure propagande léniniste, le film ayant été d’ailleurs remanié pour que le personnage de Trotski, banni du parti à l’époque, disparaisse quasiment du récit) ; c’est le souffle lyrique du film qui emporte l’adhésion. Ce n’est pas d’un point de vue politique qu’Eisenstein est révolutionnaire mais d’un point de vue artistique. Une fois de plus, ses théories sur le montage, expérimentées dans Le cuirassé Potemkine et ses autres œuvres, font merveille.

Visuellement, le film est d’une beauté à couper le souffle, alternant dans une même symphonie de larges plans d’ensemble (le mouvement de la foule à l’assaut du vieux monde) et des gros plans expressifs en diable. Eisenstein « type » les figures qu’il isole ainsi de la foule et en fait directement des symboles (que ce soit celui de l’oppression ou de l’insoumission). Ce n’est pas toujours finaud d’un point de vue politique mais c’est toujours frappant (comment oublier l’image de cette ville où les ponts sont relevés pour isoler les ouvriers du centre-ville et cette carcasse de cheval mort qui, misérablement, tombe à l’eau sous la pression du mouvement ascendant des ponts ?) 

 

 

 

La grève date de 1924 et s’avère être le premier film d’Eisenstein. Si l’on reconnaît d’emblée son inégalable sens du montage, son expressivité et sa manière de typer les personnages, on s’aperçoit aussi qu’il reste encore influencé ici par les théories du kino-glaz (ciné-œil) de Dziga Vertov. Cela se traduit par de nombreux effets (surimpressions, fondus enchaînés…) qu’Eisenstein abandonnera par la suite.

Le scénario du film est bête comme chou : accusé à tort d’avoir volé du matériel, un ouvrier de la Russie tsariste se suicide parce qu’il ne peut prouver son innocence. Face à cette injustice, ses camarades déclenchent une grande grève et font valoir de légitimes revendications (baisse du temps de travail, hausse des salaires…). C’est peu dire qu’Eisenstein ne lésine pas sur le schématisme : patrons abjects et bedonnants, avec l’équipement ad hoc (cigares, champagne…), idéalisation de la famille ouvrière (voir le tableau angélique de celle-ci aux premiers jours de grève)… Chaque plan est là pour marteler dans l’esprit du spectateur que cet état de fait est injuste. Ce n’est pas forcément léger mais la fin justifie les moyens ! (même si le propagandisme d’Eisenstein me gêne par moment, n’allez pas croire pour autant que je renie toute sa vision du monde et qu’il n’y a pas, aussi, une certaine justesse et une vraie générosité dans son regard ; notamment dans ses descriptions de la misère du prolétariat).

Sans être mon film préféré du maître soviétique, la grève annonce déjà la grandeur de son style et reste en mémoire pour quelques moments chocs (l’assassinat d’un enfant d’ouvrier, jeté froidement dans le vide).

 

 

 

A l’heure où des avortons prétendument de gauche affichent comme unique projet de société la possession pour chaque habitant d’un drapeau français et l’apprentissage de la marseillaise (vous ne rêvez pas ! C’est bien la France !) ; nous serions presque amené à regretter l’idéalisme forcené d’Eisenstein. Moi qui n’ait jamais fait preuve de la moindre bienveillance suspecte pour le léninisme (au contraire, j’ai toujours pensé que les bolcheviques, pourtant minoritaires, avaient d’emblée confisqué la Révolution et massacré ses plus brillants représentants –marins de Cronstadt, les troupes paysannes d’Ukraine de Makhno-…) , j’en arrive presque a avoir une certaine nostalgie pour ces temps, qui semblent si éloignés, où les individus croyaient encore à quelque chose.

Ma bonne dame, on aura tout vu !

 

 

 

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