Les équilibristes (1991) de Nico Papatakis avec Michel Piccoli

 

Après notre petit séjour en Inde, revenons, si vous le voulez bien, en France via la Grèce. Car les équilibristes a beau être un film français, il a été réalisé par un cinéaste grec qui nous apporte de chez lui un certain sens de la tragédie (je sais, c’est tiré par les cheveux mais vous n’avez pas encore lu la suite !) et un goût pour les histoires d’homosexuels (je vous avais prévenus ! Désolé, mais nous savons tous que les grecs sont pédés comme des sacs à dos depuis maître Pierre Desproges qui soulignait justement qu’ils s’appelaient tous « Hélène » et qu’ils passaient leurs journées à rouler des pelles aux poneys -es !)

Redevenons sérieux pour évoquer ce beau film qui convoque la figure de l’écrivain Jean Genet (note pour moi-même : penser à débusquer chez les bouquinistes des livres de Genet) et de son jeune amant Abdallah qui se suicida en 1964 et à qui Genet rendra hommage dans son Funambule. Ce n’est pas la première fois que Genet hante le cinéma de Papatakis (je n’avais jusqu’à hier soir vu aucun de ses films) puisque son premier essai (les abysses, en 1962) était une transposition des Bonnes.

Marcel (Michel Piccoli) est donc un écrivain célèbre qui a décidé de ne plus écrire suite à un livre qui lui a été consacré. Il rencontre Franz-Ali (Lilah Dadi) dans un cirque et lui vient en aide lorsque le jeune homme est arrêté dans une rafle policière. Devenu son mentor, Marcel va entraîner son protégé pour qu’il parvienne à exécuter un périlleux numéro d’équilibriste…

Le risque de ce genre de films, c’est de voir le sujet (histoire vraie, personnages célèbres…) scléroser la mise en scène. Or Papatakis évite plutôt bien les chausse-trappes du « biopic ». La reconstitution historique (le film se déroule au début des années 60) se limite à quelques voitures d’époque, le contexte historique et sociologique (la guerre d’Algérie) est effleuré le temps de la rafle policière où le cinéaste montre avec une certaine force la lourdeur du climat raciste (le flic qui traite Franz-Ali de « sale enfant de crouille » ou encore celui qui insulte la mère allemande du jeune homme en affirmant qu’il préfère « les nazis aux Gretchens de son espèce qui ont trahi leur race en épousant un bougnoule » !) et le film ne s’encombre pas de considérations sur les milieux littéraires et intellectuels français des années 60.

Les équilibristes est un film sec et dépouillé, qui ne dévie quasiment jamais de son sujet : le rapport passionné et douloureux entre Marcel et Franz-Ali. Dans un premier temps, on pense assister à une espèce de My fair lady homo où le vieux Pygmalion modèle son garçon de piste (il ramasse le crottin dans un cirque) pour qu’il devienne une étoile du fil de fer.

Les séances d’entraînement, les répétitions du funambule sont très bien filmées et Papatakis abandonne alors sa sécheresse pour s’abandonner au lyrisme (je ne pensais pas que ces numéros de cirque pouvaient être aussi fascinants !).

Mais le film se détourne rapidement de la voie de la « success-story » et l’on se rend vite compte que le numéro d’équilibrisme n’est qu’une métaphore illustrant la relation entre l’écrivain et Franz-Ali. Leur histoire est placée sous le signe de la domination et de la soumission. Franz-Ali est la « chose » de Marcel, il lui est complètement soumis. D’un autre côté, c’est le regard de l’écrivain qui le fait vivre et exister (qui lui permet de garder l’équilibre). Sans lui, c’est la chute comme dans ce très beau moment où le jeune homme fait son premier faux-pas au moment même où arrive un autre jeune protégé de Marcel.

A travers ce récit, Papatakis s’intéresse aux différents rapports de force entre les individus : rapports sado-masochistes de l’amour (Franz-Ali se soumet corps et âmes à Marcel), rapports de classes (le film insiste sur la violence réservée aux déclassés : immigrés, mère-célibataire…) et rapports maître-esclave (totalement imprégné de l’œuvre de Marcel, Franz-Ali se propose comme chauffeur d’Hélène, une amie angélique de l’écrivain, et rejoue d’une certaine manière le simulacre de la pièce Les bonnes).

Malgré quelques longueurs, la réussite du film tient à ce mélange de cruauté et de retenue (Papatakis ne filme aucune scène de sexe ou de violence alors que le sujet s’y prêtait). Rien ne détourne le cinéaste de son fil tragique. La scène finale où Franz-Ali joue les funambules sur le toit de sa maison est très belle même si l’on devine que désormais, plus rien ne le protège de son inéluctable chute.

Un film plutôt rare qui mérite le détour…

 

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